Monsieur le Préfet du Pas-de-Calais,
Vous avez indiqué aux associations que vous avez rencontrées le jeudi 10 août que l’Etat allait se conformer aux injonctions du tribunal administratif de Lille, confirmées par le Conseil d’Etat, concernant l’accès des exilé-e-s présent-e-s dans le Calaisis à un dispositif humanitaire.
Vous avez notamment déclaré que les douches seraient réservées aux personnes vulnérables, et avez précisé qu’il s’agissait des personnes malades, des femmes et des enfants.
Nous attirons, à titre liminaire, votre attention sur le fait que, comme le précise le considérant n° 30 de l’ordonnance du tribunal administratif de Lille, l’évaluation des besoins et la définition des conditions d’accès aux services créées (points d’eau et douches) doivent se faire en lien avec les associations requérantes. Sauf à méconnaître l’ordonnance prise, il ne vous est donc pas possible de déterminer unilatéralement, comme vous l’avez fait, les modalités d’organisation de ces services, surtout si celles-ci ont finalement pour objet d’exclure plusieurs catégories de personnes.
Au demeurant, rien dans l’ordonnance du tribunal administratif de Lille, ni dans la décision du Conseil d’Etat, ne suggère que le juge administratif aurait entendu faire en sorte que seules les femmes, les enfants et les personnes malades puissent y avoir accès. Nous ne comprenons pas votre choix. Surtout, en ce qu’il prévoit que seules les personnes malades, les femmes et les enfants pourraient avoir accès aux douches, le dispositif que vous avez créé ne tient pas compte des considérations qui ont conduit le juge administratif à enjoindre à votre administration d’installer des douches.
Pour le tribunal administratif de Lille et le Conseil d’Etat, l’installation de ces douches est nécessaire pour protéger les différents exilé-e-s actuellement sans abris à Calais qui se trouvent exposé-e-s aux risques sanitaires existants. Les conséquences déplorables de cette situation ont été portées, de manière très circonstanciée, à votre connaissance tout au long de la procédure.
Le tribunal administratif de Lille et le Conseil d’Etat ont reconnu l’existence d’importants risques épidémiques. Et, ils ont reconnu que l’apparition de cas de gale, d’impétigo, mais aussi de pathologies psychiatriques liées au manque d’hygiène, était due à l’absence de dispositif de prévention, et plus particulièrement, à l’absence de possibilité pour les exilé-e-s sans abris qui vivent dans un extrême dénuement de prendre une douche. En effet, comme vous le savez, l’apparition de la gale ainsi que des nombreuses pathologies, notamment dermatologiques, dont finissent par souffrir les personnes sans-abris ne peut se combattre qu’en offrant à ce public la possibilité de garder des vêtements propres et aussi de conserver une hygiène de tout le corps.
Les injonctions de l’ordonnance doivent s’interpréter à la lumière des motifs de cette même décision : vous devez donc prendre en compte les objectifs avancés par le juge administratif, et donc les besoins, en termes d’accès à une douche, de toutes les personnes aujourd’hui à la rue qui se trouvent, à Calais, en proie aux risques sanitaires identifiés.
Du reste, vous nous avez informés que le dispositif de douches mobiles serait géré par la Vie Active. Nous craignons que la gestion d’un tel équipement, dans le cadre restreint que vous dérivez concernant les bénéficiaires, soit impossible et débouche sur des conflits : comment les exilé-e-s vont-ils accepter que certain-e-s aient droit aux douches, et d’autres non ?
Enfin, et en tout état de cause, le tribunal administratif de Lille a retenu que l’ensemble des points d’eau installés devaient, au moins, permettre aux personnes de s’hydrater, de laver leurs vêtements et de se laver. Cela signifie que le préfet et la commune doivent, au minimum, prévoir les aménagements nécessaires à ces points d’eau pour rendre possible ces trois prestations et les offrir à tous. Or les robinets et les éviers aujourd’hui installés peuvent probablement permettre aux personnes de s’hydrater. Par contre, il n’est pas sérieux de dire qu’ils permettraient aux personnes de se laver. Il apparait très difficile de croire que les personnes pourraient se déshabiller ou se laver en plein air à l’aide de ces éviers. Le service tel qu’il est conçu ne prévoit donc pas les aménagements nécessaires.
Deux mois après la notification de l’ordonnance du tribunal, l’injonction n’est donc toujours pas respectée.
Nous ne voulons pas croire que votre intention soit de ne pas suivre les injonctions du tribunal administratif.
Dans le cas où vous n’élargiriez pas le dispositif douches à l’ensemble des personnes vivant dans la rue à Calais et dans celui où vous ne modifieriez pas les aménagements des points d’eau, nous nous réservons, avec nos avocat-e-s, l’éventualité de repartir devant le Conseil d’Etat en procédure d’exécution, afin de faire constater le non-respect des injonctions du tribunal administratif et de demander de mettre en œuvre tout moyen légal pour vous y conformer, y compris en demandant une importante augmentation du montant de l’astreinte par jour de retard.
Dans l’attente d’une réponse de votre part, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Préfet du Pas-de-Calais, l’expression de notre considération respectueuse.
A Calais, le 25 août 2017
Associations signataires :
l’Auberge des migrants ; Care4Calais ; la Cimade ; Gynécologie sans frontières ; Help Refugees ; la Ligue des droits de l’Homme ; Médecins du monde ; Refugee Youth Service ; le Réveil voyageur ; Salam Nord Pas-de-Calais ; Secours catholique / délégation du Pas-de-Calais ; Utopia 56