Allocution prononcée le 25 août 2017 aux obsèques de François Della Sudda au nom de la LDH, par Pierre Tartakowsky, président d’honneur de la LDH.
Mesdames, Messieurs, chers amis,
La mort de François Della Sudda vient endeuiller un été déjà trop sombre. Cruelle ironie de l’histoire, il nous quitte au moment même où nous aurions le plus grand besoin de sa détermination humaniste, de sa capacité à affronter l’injustice, de sa volonté à ne rien céder au pire.
Car le pire est là. De Charlottesville à Barcelone, de Calais à la vallée de La Roya, il se déploie pour assassiner, refouler, exclure, discriminer, emprisonner au nom ici d’une soi-disant suprématie raciste, là d’une hégémonie pseudo religieuse, un peu partout hélas en écartant l’humanité au prétexte de la fermeté.
Répression, domination, racisme, meurtres et dictatures…Tous ces maux, François les a combattu au long de sa vie, avec sa vitalité intellectuelle, la chaleur de sa solidarité, son ouverture à l’autre et son respect du débat.
Le poète Abdellatif Laabi a écrit « Je n’attend rien de la vie, je vais à sa rencontre ». A cette image, François allait de l’avant : en combattant, en homme engagé. A cette fin, il développait avec élégance une alchimie subtile d’intelligence et de conviction, de passion et de raison. L’enseignant, en lui, n’était jamais loin du militant et la fibre pédagogique venait toujours étayer la logique du raisonnement.
Mais aller de l’avant, c’est se heurter au monde tel qu’il tourne, et surtout à ceux qui le détournent à leur profit. Pour la génération de François, la guerre d’Algérie en est la preuve sanglante, insupportable : ce monde manque sérieusement d’humanité et que celle-ci n’adviendra pas d’elle même.
Pour la paix, pour l’indépendance, François va donc organiser sa marche en avant, comme militant autant que comme enseignant.
Alors qu’il enseigne au Maroc, il s’implique corps et âme contre l’effroyable dictature du souverain Hassan II et dans la dénonciation d’une répression qu’on sait inouïe. Il en fera les frais en se faisant expulser, sans que cela altère d’un iota la profondeur de son engagement en faveur des démocrates marocains, emprisonnés, exilés, bâillonnés…
De retour en France, il va connaître les tribulations d’une poursuite judiciaire combinant la bêtise et la méchanceté. On lui fait procès- à tous les sens du terme – d’avoir fait étudier à ses élèves de troisième un texte écrit par un certain Boris Vian. La transgression signale un esprit exigeant et confiant, pour lequel liberté et culture sont inséparables. Mais ce procès en sorcellerie fournit l’occasion d’une rencontre avec un avocat, Henri Leclerc et puis, d’évidence en évidence, avec la Ligue des droits de l’Homme.
La LDH avec son histoire, ses valeurs, son éthique militante, sa vision universelle des droits, a tout pour plaire à François : François, de son coté, à tout pour se plaire à la LDH. Il y déploie ses qualités humaines et politiques à fond, car il n’est pas un homme de demi-mesures. Avec lui, la LDH s’enrichit d’un militant d’expérience, rompu à la lutte contre la dictature et ses horreurs, riche de l’expérience des combats obscurs et acharnés. Elle bénéficie d’un cadre dirigeant forgé par une éthique exigeante faisant prévaloir la vérité sur le mensonge, la justice sur la force, la morale sur le cynisme, tant des puissants que des tièdes.
C’est donc naturellement que François prend sa place à la direction nationale de l’association, dont il devient secrétaire général adjoint. Dans cette responsabilité importante, mais surtout ingrate, il se montre disponible vis-à-vis de tous, fait montre d’un sens aigu de l’organisation, cette mise en concret de l’engagement.
Il y parvient d’autant plus facilement qu’il fait partie de ces personnes qui, avant même qu’on les connaisse, forcent le respect. Cela tient à la densité de sa présence, à son écoute exigeante et attentive, à un mélange rare de force, de modestie et osons le mot, de foi. Une foi inébranlable en l’homme.
Cette disponibilité vis-à-vis de la direction nationale de la LDH ne l’empêche nullement de s’investir dans la vie de sa propre section. François ne divise ni les causes ni les territoires, simplement parce que la souffrance ne se divise pas. Lui qu’on qualifiera souvent et trop banalement de tiers-mondiste, est tout au contraire un citoyen du monde, un monde qu’il se refuse à diviser en tiers ou en quart, en couleurs, races ou religions. Un monde de fraternité, toujours à construire. Il s’y consacre sans compter en développant inlassablement les manifestations concrètes de solidarité, en France et dans le monde. Il est présent aux cotés des peuples en lutte pour leur liberté, de celles et ceux qui sont confrontés au racisme, aux discriminations, aux coté des victimes des violences et singulièrement des abus policiers.
Il est évidemment fidèle au rendez-vous de la cause Palestinienne, de celles du Maroc, de la Tunisie et compte parmi les premiers qui contribuent à soulever le couvercle des années de plomb écrasant le peuple Algérien. Et parce que là-bas, c’est ici, il se mobilise pour la défense des droits des étrangers en France, pour la citoyenneté de résidence et le droit de vote des résidents non communautaires.
Pour lui, toutes ces causes ne sont que les multiples facettes d’un seul et même terrain, d’un seul et même combat pour la démocratie, pour la justice, pour une humanité allant de l’avant.
Nous voici donc orphelins de François. La LDH, sa section de Mantes, sa fédération des Yvelines et la région d’Ile de France présentent leurs plus sincères condoléances à son épouse, à ses enfants, à toutes celles et ceux qui l’ont aimé.
La LDH continuera à aller de l’avant, en s’honorant d’avoir pu le compter au rang de ses dirigeants, en portant son souvenir et ses espoirs. Avec tous ses amis, ses camarades, nous poursuivrons son combat en restant fidèle à sa mémoire et à ses engagements. Son exemple et son souvenir nous aideront, c’est certain, mais l’homme… L’homme nous manquera.
Nous mesurons déjà ce manque au vide et au chagrin immenses qui sont les nôtres.