La dématérialisation dans le viseur : 23 préfectures devant les tribunaux administratifs

  • Les moyens des services étrangers des préfectures, pointés par la Commission des finances et par les juridictions

Les moyens dont disposent les services étrangers des préfectures ont récemment été pointés par plusieurs acteurs institutionnels. Les tribunaux administratifs de Montreuil et de Lyon, saisis par nos organisations le 30 mars dernier pour que cesse durablement l’obligation d’utiliser Internet pour accéder au guichet préfectoral, se sont d’abord prononcés sur la nécessité de suspendre urgemment et à titre provisoire cette obligation, compte tenu des multiples atteintes aux droits en résultant et dans l’attente des décisions de justice définitives. Si les magistrats n’ont pas fait droit à nos demandes provisoires, renvoyant leurs décisions à l’examen au fond de nos requêtes, ils ont qualifié de “regrettable” “l’insuffisance des capacités d’accueil des ressortissants étrangers par rapport à la demande. Une insuffisance précisément documentée par le rapport des député-e-s Stella Dupont et Jean-Noël Barrot au nom de la commission des finances de l’Assemblée nationale : les effectifs des services étrangers ont certes cru de +11,2% depuis 2016, mais ce renforcement a principalement bénéficié à d’autres activités (notamment l’éloignement) alors que l’activité liée aux titres de séjour progressaient, sur la même période, de +20,4%. Ainsi, proportionnellement, les moyens dédiés au droit au séjour ont décru dans les préfectures au cours des cinq dernières années. Et la manière dont sont utilisés les moyens disponibles est en cause : non seulement les missions liées à l’éloignement sont privilégiées, mais les missions liées au séjour consistent en grande partie à répondre à la suspicion démesurée de fraude visant les personnes étrangères en multipliant abusivement les contrôles sur des dossiers rendus toujours plus lourds et complexes.

  • Une multiplication de recours individuels : les tribunaux administratifs en passe de devenir les pré-guichets des préfectures ?

La forte généralisation de l’obligation d’obtenir un rendez-vous par Internet avant de se rendre en préfecture a entraîné une véritable inflation de requêtes, adressées aux tribunaux administratifs par les personnes étrangères bloquées dans leurs démarches. Le rapport parlementaire le documente précisément pour 6 tribunaux métropolitains : le nombre de requêtes adressées en 2020 (1 188) a plus que doublé par rapport à 2019 (478), et le total de 2020 est presque déjà atteint au 26 avril 2021 (1 144). Et, notent les rapporteurs, “la progression du nombre de requêtes coïncide avec leur taux de succès” (de 30% au premier trimestre 2020 à 72% sur les quatre premiers mois de 2021). Dans certains départements, le juge administratif est devenu le pré-guichet des préfectures, à tel point que la présidente du tribunal administratif de Versailles le qualifie de “Doctolib des préfectures”. Les multiples injonctions faites par les juges aux préfets de délivrer des rendez-vous n’a pourtant pas pour effet de faciliter l’accès global aux services étrangers : comme l’avoue la préfecture de Seine-Maritime, “des plages de rendez-vous sont désormais réservées à l’avance sur le planning en vue de recevoir les étrangers concernés par les prochaines injonctions attendues du tribunal administratif”. C’est parce que ces contentieux individuels ne suffisent manifestement pas que nos organisations assignent les préfectures en justice.

  • Une dématérialisation des procédures qui ne respecte pas les décisions de justice

Le Conseil d’Etat l’avait clairement indiqué le 27 novembre 2019 : les particuliers ne peuvent être contraint-e-s de saisir l’administration par voie dématérialisée. Une alternative (guichet, courrier…) doit toujours être proposée. Pourtant, les préfectures et le ministère de l’Intérieur multiplient les téléservices sans prévoir d’alternative, qu’il s’agisse d’utiliser le numérique pour obtenir un rendez-vous physique ou, de plus en plus souvent, pour déposer tout son dossier sur un portail web. Au mieux, des bornes numériques sont prévues dans certaines préfectures. Nos organisations ont de nouveau saisi le Conseil d’Etat : une aide à l’accès au numérique n’est pas une alternative et les moyens dédiés à cette aide sont très insuffisants. Les personnes en difficulté avec le numérique sont lourdement entravées dans leurs démarches. De même, en Seine-Maritime, nos organisations se voient contraintes de saisir de nouveau le tribunal administratif de Rouen : malgré la décision du 18 février 2021 pointant l’illégalité du téléservice de la préfecture et l’interpellation des organisations locales, la préfecture n’a pas tiré les conséquences et amélioré les conditions d’accès aux guichets pour les personnes étrangères résidant en Seine-Maritime.

Communiqués de la LDH

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