L’ouverture de la salle d’audience « délocalisée » du Tribunal de grande instance (TGI) de Meaux au centre de rétention du Mesnil-Amelot (77) a eu lieu le 14 octobre dernier, ce qui signifie que désormais les juges des libertés et de la détention de Meaux examinent les demandes de prolongation des rétentions d’étrangers dans l’enceinte du plus grand centre de rétention de France (240 places).
La Ligue des droits de l’Homme est intervenue lors de la première audience aux côtés de cinq autres associations et syndicats (Cimade, Gisti, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature, Avocats pour la défense des étrangers) pour relever les atteintes graves aux droits et demander la fermeture de cette « annexe » du tribunal.
Parmi ces atteintes, il faut noter que cette salle d’audience ne fait l’objet d’aucune signalétique (les seuls panneaux signalent le centre de rétention administratif), ce qui ne permet pas de distinguer les bâtiments du centre de rétention et la salle d’audience construite au sein de l’enceinte du Cra. A ces éléments viennent s’ajouter la proximité des pistes de Roissy, la vision et le bruit permanent des avions, les transferts directs entre le lieu d’enfermement et la salle d’audience, l’éloignement de tout centre ville et les difficultés d’accès par les transports en commun. Enfin, l’ensemble des associations citées précédemment ont dénoncé la suspension de l’exercice des droits avant le passage devant le juge (impossibilité de téléphoner et de communiquer avec l’extérieur) et l’absence de gestion réelle de cette annexe par les services du ministère de la Justice : la présence de la police est omniprésente dans cette salle hyper sécurisée (des badges sont nécessaires pour circuler au sein du bâtiment) et il n’y a pas de communications possibles par portables et pas d’Internet.
Le Conseil national des barreaux a pris position et est intervenu devant la cour d’appel pour soutenir cette ferme opposition.
Aujourd’hui, même si le juge puis la cour d’appel de Paris ont validé les premières procédures tout en relevant le caractère « perfectible » des conditions dans lesquelles se tiennent ces audiences, le combat continue.
Un avis très sévère du commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe Nils Muižnieks mérite d’être signalé. Il a rendu public un courrier à la Garde des sceaux dans lequel il se dit inquiet quant au respect des droits des migrants amenés à comparaître lors d’audiences des Tribunaux de grande instance de Meaux et de Bobigny délocalisées au Centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot et, prochainement, à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle :
« Tout en comprenant le souhait des autorités françaises d’éviter, grâce à ces délocalisations, des transfèrements coûteux et parfois réalisés dans des conditions peu respectueuses de la dignité des personnes, il m’apparaît que la tenue de telles audiences délocalisées soulève plusieurs questions relatives aux droits de l’Homme des personnes qui seront présentées au juge de la liberté et de la détention lors de ces audiences. Toute personne privée de liberté a le droit, en vertu de la Convention européenne des droits de l’Homme, d’introduire un recours devant un tribunal qui doit, non seulement être, mais aussi paraître indépendant et impartial. Or, ces délocalisations impliquent la tenue d’audiences à proximité immédiate d’un lieu de privation de liberté dans lequel est maintenu ou retenu le requérant. Ceci, ajouté au fait que ce lieu est placé sous l’autorité du ministère de l’Intérieur – lequel est également partie au litige –, risque de porter atteinte à l’indépendance et à l’impartialité du tribunal concerné, à tout le moins aux yeux du requérant. »
Le commissaire souligne également que la localisation de ces salles d’audience et la difficulté d’y accéder, notamment en transports en commun, risquent de compliquer l’exercice des droits de la défense et de faire obstacle à la publicité des débats. Enfin, le commissaire considère que ces audiences tenues en dehors des tribunaux dans lesquels la justice est d’ordinaire rendue risquent d’accréditer l’idée que les étrangers ne sont pas des justiciables comme les autres.
Partageant l’inquiétude largement exprimée par les professionnels du droit à ce sujet, le Commissaire demande à la ministre de la Justice de l’informer des mesures qu’elle entend mettre en place afin de garantir le respect des droits de l’Homme des personnes concernées par ces audiences.
http://www.coe.int/t/commissioner/News/2013/131017LettreMinistreJusticeFrance_fr.asp
Une salle d’audience en zone d’attente
Une deuxième salle d’audience « délocalisée » est prévue pour la fin de l’année à l’aéroport de Roissy pour les étrangers privés de liberté en zone d’attente faisant l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire français. Les arguments avancés pour l’ouverture de ces locaux sont le confort des locaux, la facilité de déplacement des retenus, ce serait même « plus humain » pour les étrangers. En fait, il est clair que l’effet principal attendu est la réduction des coûts, dans une logique purement comptable et c’est au nom des mêmes arguments que le tribunal administratif de Melun pourra à terme délocaliser également son audience.
Une mission sollicitée par la Garde des sceaux suite à la mobilisation doit rendre un rapport sur la conformité du projet aux exigences légales et jurisprudentielles tirées des conventions internationales.
De leur côté, les associations ont rappelé les principes : publicité des débats, impartialité du tribunal, respect des droits de la défense, droit à la dignité.
L’impartialité du tribunal doit être établie non seulement sur la base de critères objectifs mais aussi sur un « sentiment d’impartialité » pour le justiciable et le citoyen.
Or, ces locaux sont très difficiles d’accès en transport en commun (1h30 en RER du centre de Paris) ce qui entraîne l’isolement non seulement des étrangers retenus (absence de public, des familles et des proches), mais aussi des avocats – essentiellement l’équipe restreinte des avocats de permanence – et du juge unique loin de leur tribunal.
Enfin, on peut douter que la transparence et le rendu de la justice soient garantis compte-tenu de l’omniprésence de la police dans cette « annexe » dans l’enceinte du centre de rétention.
La mobilisation organisée par les organisations opposées à ce choix a eu un large écho : un bus a été affrété pour visiter les lieux mardi 17 septembre afin d’alerter les médias. Etaient présents le Bâtonnier de Seine-Saint-Denis, le représentant de celui de Paris, les représentants des associations et syndicats à l’initiative ainsi que de l’USMA (Union syndicale des magistrats administratifs) mais aussi des personnalités telles Jean-Michel Belorgey, Arnaud Lyon-Caen de la CNCDH et des élus (trois sénateurs EELV, PS, Front de Gauche).
Le refus des audiences délocalisées
Deux audiences de ce type existent déjà en France : au Canet près de Marseille et à Coquelles (Nord). Celle de Toulouse a fermé grâce aux luttes. Le but est de les faire toutes fermer, en utilisant tous les recours (Appel, Cour de cassation, CJUE et CEDH) afin que la justice des étrangers déjà si dérogatoire, si expéditive ne devienne pas « invisible » pour le public.
La possibilité de ces audiences « délocalisées », introduite par les lois Sarkozy sur l’immigration, avait été combattue par ceux qui constituent la majorité gouvernementale actuelle… Avec l’achèvement d’un projet vieux de huit ans, le gouvernement pose un acte et poursuit aujourd’hui la même logique.
Dans un communiqué de presse du 23 octobre, Christiane Taubira, ministre de la Justice, confie une mission à deux magistrats sur l’annexe judiciaire du TGI de Bobigny qui « permettra d’apprécier si cette annexe est conforme aux exigences européennes et nationales ». La ministre ajoute qu’elle « s’engage à rendre publiques les conclusions qui devraient lui être remises pour la fin du mois de novembre 2013 ».
Le regard citoyen sur la justice des étrangers reste donc indispensable. C’est pourquoi nous continuons la mobilisation contre ces audiences délocalisées.