Le licenciement d’un salarié en raison de sa séropositivité est contraire au droit européen

Dans une entreprise, en Grèce, des salariés apprennent qu’un jeune salarié a contracté le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), se plaignent auprès de l’employeur d’avoir à travailler avec une personne séropositive et demandent son renvoi. L’employeur invite alors un médecin du travail à venir sur place aux fins d’éclairer le personnel sur le VIH et sur son mode de transmission ; le médecin tente de rassurer les employés. Trente-trois employés de l’entreprise (la moitié du personnel environ) adressent à l’employeur une lettre par laquelle ils l’invitent à se séparer du salarié afin de « sauvegarder leur santé et leur droit au travail ». L’employeur licencie le salarié.



Saisis par le salarié, les premiers juges considèrent que ce licenciement est illégal : l’employeur a licencié le requérant en cédant aux pressions du personnel afin de préserver un bon climat de travail au sein de son entreprise ; les craintes des employés de l’entreprise étaient scientifiquement injustifiées, en raison du mode de transmission du virus, il n’existait aucun danger pour leur santé. Ainsi, ces craintes étaient en réalité fondées sur des préjugés et non sur un risque avéré. En revanche, pour la cour de cassation « le licenciement était pleinement justifié par les intérêts de l’employeur, (…) en ce qu’il a été décidé afin de rétablir le calme au sein de l’entreprise ainsi que son bon fonctionnement. En effet, les employés étaient sérieusement perturbés par la maladie extrêmement sérieuse et contagieuse du [requérant], source pour eux de sentiments d’insécurité et de peur quant à leur santé (…) ».

Saisie par le salarié, la CEDH critique la décision de la Cour de cassation et note notamment que « le préjugé supposé ou exprimé des salariés ne saurait être invoqué comme prétexte pour mettre fin au contrat d’un employé séropositif. Dans de tels cas, le besoin de protéger les intérêts de l’employeur doit faire l’objet d’une mise en balance minutieuse avec le besoin de protéger ceux de l’employé, qui est la partie la plus faible au contrat, et cela encore plus lorsque celui-ci est séropositif. ». Ainsi, la Cour de cassation a fondé sa décision, pour justifier les craintes des salariés, sur une prémisse manifestement inexacte, à savoir le caractère « contagieux » de la maladie du requérant.

La CEDH examine les faits à la lumière des articles 8 (droit au respect de la vie privée) et 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et se réfère également à divers instruments internationaux accordant une protection aux personnes atteintes du VIH (Recommandation n° 200 de l’OIT concernant le VIH et le sida dans le monde du travail, etc.).

La Cour, « à l’unanimité », « dit qu’il y a eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention » et condamne l’État grec à verser au salarié deux indemnités pour réparer le préjudice matériel (plus de 6 000 euros) et le préjudice moral (8 000 euros) (CEDH 3 oct. 2013, M. I.B. c/ Grèce, Requête n° 552/10).

Cette affaire, riche d’enseignements, attire l’attention sur l’aggravation des discriminations à l’encontre des personnes vulnérables en période de crise, rappelle qu’une injonction de discriminer ne peut justifier une discrimination, et souligne les ressources du droit européen du Conseil de l’Europe.

Communiqués de la LDH

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