Note de synthèse de la LDH sur le rapport de Matthias Fekl « Sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France »
Au mois de février 2013, par décret du Premier ministre, le député du Lot-et-Garonne, Matthias Fekl, a été nommé parlementaire en mission auprès du ministre de l’intérieur.
Sa mission : rendre un rapport à la mi-avril portant sur trois points :
les modalités de mise en œuvre du titre de séjour pluriannuel ;
les conditions d’accueil des étrangers dans les préfectures et les modalités d’instruction des dossiers ;
l’articulation des rôles respectifs du juge administratif et du juge judiciaire dans le contrôle du respect du droit des étrangers.
Le 14 mai dernier, Matthias Fekl a remis au Premier ministre un rapport en 99 pages, annexes comprises, intitulé « Sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France ». Ce rapport regroupe au total 25 propositions.
Le travail confié au parlementaire s’est inscrit dans une volonté gouvernementale d’ouvrir en parallèle d’autres chantiers de concertation et d’auditions, particulièrement sur la question des migrants âgés et de l’enfermement (zone d’attente, centre de rétention administratif). L’ensemble devrait déboucher prochainement sur une réforme législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda).
Lors de son audition, la LDH a exprimé son regret de voir les questions liées au statut des étrangers être ainsi séparées d’une réflexion d’ensemble. Cependant, sur ce terrain comme dans d’autres domaines, la prudence semble de mise et l’emporte sur l’audace. Le rapport lui-même, dans la partie consacrée à l’accueil en préfecture, souligne qu’ « une réforme plus ambitieuse pourrait naturellement être menée ». Mais, le document remis ne l’envisage pas et se résout à un seul travail de révision et de propositions plus que modeste. Il n’engage pas cette rupture sérieuse avec la politique et les pratiques antérieures qu’il aurait pu et dû avoir, à l’aune des rencontres et des contributions qui l’ont nourri.
1. Le titre de séjour pluriannuel
C’est la proposition phare du rapport. Celui-ci part du constat que la délivrance de titres de séjour pluriannuels demeure actuellement l’exception, alors que la remise des récépissés et leur renouvellement à répétition est récurrent, contribuant à précariser la situation juridique des étrangers. Ainsi, il est proposé de généraliser la délivrance des titres pluriannuels de séjour aux étrangers qui ont vocation à demeurer en France. Le dispositif devrait profiter :
aux étudiants ;
aux salariés ;
à l’immigration familiale (majoritairement les catégories visées par l’article L. 313-11 du CESEDA ainsi que la catégorie des étrangers titulaires de la carte de séjour mention « Visiteur »).
Dans ce nouveau schéma, il est naturel de s’interroger sur la place de la carte de résident. Le rapport livre un début de réponse : « Cela impliquerait que pour les ressortissants étrangers ayant vocation à demeurer durablement sur le territoire, le titre pluriannuel permette, à la suite de la délivrance d’un ou plusieurs titres annuels, de préparer la délivrance d’une carte de résident, et, le cas échéant, à la naturalisation. »
La proposition n° 4 reprend d’ailleurs la question de la carte de résident, en affirmant : « Faciliter l’accès à la carte de résident, dont l’existence ne saurait être remise en cause par l’introduction du nouveau titre pluriannuel de séjour. »
En outre, et comme le rédacteur du rapport le précise, des aménagements complémentaires peuvent être retenus afin de rendre le titre pluriannuel de séjour « véritablement attractif ». De fait, dans le cadre d’un changement de statut, le ressortissant étranger ne serait plus obligé de « parcourir de nouveau toutes les étapes du parcours administratif ». A titre d’exemple, l’étranger titulaire d’un titre de séjour temporaire depuis au moins 2 ans aurait vocation à accéder à un nouveau titre de séjour pluriannuel valable 4 ans, même si le motif de séjour change. Si cette proposition est retenue, il s’agira d’une véritable innovation, permettant de créer une fluidité entre les statuts.
L’instauration d’un titre de séjour pluriannuel constituerait indéniablement un progrès pour celles et ceux qui sont aujourd’hui contraints de renouveler chaque année leur titre de séjour temporaire d’un an. Une telle refonte conduirait également à alléger le contrôle des préfectures sur une partie des demandes, sous-tendant une amélioration de l’accueil et du traitement des dossiers d’étrangers.
Néanmoins, plusieurs zones d’ombre apparaissent à la lecture des propositions du rapport. En premier lieu, il faut que les préfectures « jouent le jeu ». Or, pour le moment, les dispositions en vigueur leur laissent une large marge d’appréciation dans la délivrance des titres de séjour pour les ressortissants étrangers justifiant d’une longue durée de présence en France ou de liens importants sur notre territoire. C’est le cas dans le cadre de l’admission exceptionnelle au séjour (articles L. 313-14 et L. 313-15 du Cesada) ainsi que dans les catégories visées par l’article L. 313-11 du Ceseda.
En second lieu, aucune précision n’est donnée quant aux mentions qui seront apposées sur les titres de séjour pluriannuel.
Enfin, on peut s’interroger sur cette volonté d’introduire la généralisation du titre de séjour pluriannuel et de ne pas redonner toute sa place à la carte de résident. Il est à rappeler que la disposition de loi du 17 juillet 1984 portant création de la carte de séjour de 10 ans avait pour objectif de permettre un séjour stable et durable tant aux étrangers qui résident régulièrement en France depuis plus de trois ans qu’à ceux qui disposent d’attaches sur le territoire en raison soit des liens familiaux existant soit de l’ancienneté de séjour.
2. L’accueil en préfecture
Les difficiles, pour ne pas dire indignes, conditions d’accueil dans de nombreuses préfectures sont décrites et dénoncées depuis très longtemps par les associations. Nombre de rapports décrivent les files d’attente de plusieurs heures, l’arrivée devant la préfecture en pleine nuit, voir la veille au soir, pour être certain de pouvoir entrer dans la préfecture, le refus arbitraire de recevoir des dossiers de demande de titre de séjour, etc. Le rapport remis par Matthias Fekl dresse un état des lieux pertinent de la situation. Toutefois, il n’est assorti d’aucune proposition de réglementation contraignante, et le fait de rendre publiques les directives adressées aux services en charge du traitement des demandes de titre de séjour, comme le mentionne la proposition n° 5, ne saurait en aucun cas être satisfaisante ni suffisante.
Cette partie du rapport aborde également le souhait d’une meilleure transparence et ouverture de l’administration. Parmi les propositions dégagées, la modification de la commission du titre de séjour « pour en faire une véritable instance de contrôle de l’activité des préfectures », revenant ainsi à une composition plus proche de celle qui prévalait avant la loi du 20 novembre 2007.
Une autre mesure préconisée, celle conduisant à l’organisation régulière, dans chaque département, « d’une réunion de concertation entre le corps préfectoral, les représentants de la juridiction administrative compétente, le barreau et les associations défendant les droits des ressortissants étrangers dans le respect de l’indépendance de la Justice ». Si l’initiative d’instaurer un dialogue entre le corps préfectoral, les associations et les avocats est une proposition à soutenir, il n’apparaît pas opportun que des liens entre la préfecture et le tribunal administratif soient institutionnalisés, altérant ainsi la logique contentieuse.
Le rapport pointe ensuite l’indispensable « harmonisation des pratiques ». Une proposition, la neuvième, vise à « mieux encadrer le pouvoir d’appréciation des préfets, en particulier en matière d’immigration familiale et d’admission exceptionnelle au séjour ». Là encore, sachant que dans l’ensemble du texte le pouvoir discrétionnaire dévolu au préfet n’est pas remis en question, nous risquons fort de rester dans l’incantation.
3. L’éloignement
Le 3e volet du rapport remis par Matthias Fekl était aussi très attendu. Les critiques de la loi du 16 juin 2011 s’étaient en effet cristallisées sur les dispositions réformant le contrôle juridictionnel de la rétention et de l’éloignement. Cette réforme a eu pour conséquence de retarder l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) dans les procédures de rétention administrative en vue d’un éloignement du territoire.
Le rapporteur fait une bonne analyse des conséquences de cette réforme, commençant par dresser un bilan chiffré de la loi de 2011. Néanmoins, il ne se dégage pas de propositions garantissant un véritable accès à la justice. Il décline d’abord deux scenarii :
une extension des pouvoirs du juge administratif qui se verrait confier le contrôle de la régularité des conditions d’interpellations des étrangers retenus ;
une intervention du juge judiciaire dès le placement en rétention.
Ce deuxième scénario serait l’idéal, en ce qu’il serait le plus conforme au respect des droits fondamentaux tels que définis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Toutefois, pour le rapporteur, un problème de taille surgit : les moyens. Comme il est souligné, « son application exigerait une mobilisation de moyens importants ». Cette difficulté pourrait parfaitement être contournée en réduisant le nombre de rétentions administratives. Mais cela ne semble pas être l’objectif gouvernemental.
In fine, et sachant que ce qui vient d’être décrit ci-dessus aura très peu de chance d’être retenu, le rapport propose simplement l’option du retour à l’organisation qui prévalait avant la loi du 16 juin 2011, à savoir la saisine du JLD après 48 heures de rétention.
Au sein de cette dernière partie, le rapport aborde aussi la durée maximale de la rétention – qui est actuellement de 45 jours – et préconise de la raccourcir à 30 jours. Une telle proposition ne saurait être satisfaisante, et maintient une logique répressive d’enfermement parfaitement inutile. Pour mémoire, la loi du 11 mai 1998, dite loi Chevènement, prévoyait une rétention de 7 jours pouvant être prolongée de 5 jours, soit 12 jours maximum.
Enfin, le rapporteur propose de simplifier les procédures d’éloignement. En premier lieu en fusionnant la procédure des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière avec celle relative aux obligations de quitter le territoire (OQTF). Là encore, l’architecture issue des lois précédentes sur les OQTF avec et sans délai ainsi que la définition des étrangers pouvant faire l’objet d’OQTF sans délai, est conservée.
En second lieu, il est proposé que « la décision de refus d’un titre de séjour vaut automatiquement obligation de quitter le territoire, la motivation de la première mesure s’appliquant également à la seconde ». Cette proposition ne peut être acceptable. Elle est contraire aux dispositions de la directive européenne du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, plus communément appelée « directive retour ». En effet, la directive européenne distingue « titre de séjour » et « mesure d’éloignement », ces deux mesures ayant des conséquences bien différentes. Il est utile ici de rappeler que l’article 6 paragraphe 3 de la directive prévoit qu’ « à tout moment », y compris donc au cours de la procédure de retour, « les États membres peuvent décider d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. ».
Téléchargez le rapport de Matthias Fekl pour lequel la LDH a été auditionnée, fruit d’un travail conjoint du service juridique, du groupe de travail « Etrangers Immigrés » et du Bureau national pour analyser les propositions qui y figurent.