Eurosur : Quand la surveillance des frontières prime sur la vie des migrants

La proposition de règlement portant création d’un système de surveillance des frontières, Eurosur, présentée le 12 décembre 2011 par la Commission européenne met sur le même plan la criminalité transfrontalière et l’immigration irrégulière, et fait l’impasse sur la recherche et le sauvetage en mer, pourtant inscrit dans la Communication de 2008.

Eurosur se définit comme un « système des systèmes » permettant un renforcement de la surveillance des frontières, pour parvenir à un système de gestion intégré des frontières en coopération avec l’agence Frontex. Ceci par une interconnexion et une rationalisation des systèmes de surveillance existant au niveau des Etats membres, le perfectionnement technique des outils de surveillance au niveau de l’UE (satellite, drones,..), la création d’un environnement commun de partage de l’information maritime de l’UE, une coopération avec les pays tiers voisins.

L’AEDH ne peut que condamner un règlement qui met en péril les droits fondamentaux des demandeurs d’asile et des migrants, ne fait pas une priorité du sauvetage en mer, considère, de fait, la lutte contre la criminalité comme un objectif secondaire, reporte sur les pays tiers les responsabilités de l’UE, et porte atteinte aux garanties de protection des données personnelles.

Si l’AEDH considère légitime que l’Union européenne mette en place des mesures pour contrôler ses frontières extérieures, elle veut rappeler que le droit de quitter son pays est un droit fondamental inscrit dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme. Les demandeurs d’asile qui essayent de parvenir aux frontières de l’UE doivent pouvoir bénéficier de toutes les protections et de l’examen de leur demande. Pour cela ils doivent être accueillis en Europe.

Le système Eurosur permet un renforcement de la détection et du suivi des navires, en particulier des embarcations précaires qui, ne possédant pas de pavillons nationaux, peuvent selon le droit de la mer être interceptées et visitées par les navires chargés de la surveillance des zones maritimes, y compris non territoriales. Or plutôt que de mettre à profit ces techniques de détection pour sauver des vies, Eurosur fait l’impasse sur l’obligation de recherche et de sauvetage en mer. Cette obligation, qui s’applique déjà aux Etats membres selon le droit maritime international, doit également être applicable aux opérations maritimes communes de l’UE. Or à l’heure actuelle, les naufrages en Méditerranée se multiplient et la vie des personnes qui fuient leur pays semble de peu de prix lors des opérations conjointes coordonnées par Frontex, telles qu’elles sont prévues dans la proposition de règlement en question.
Pourtant, les navires qui sont mis à sa disposition ont l’obligation de remonter à leur bord les personnes navigant dans des bateaux de fortune. En tant que bateaux militaires, ils sont une portion du territoire national dont ils portent le pavillon. Les équipages de ces navires doivent dès lors procéder à l’examen individuel et personnalisé des personnes concernées, dont des demandeurs d’asile.

Le fait de repousser une embarcation en détresse, le fait de la remettre entre les mains de navires de pays tiers ne peut qu’être assimilé à un refoulement collectif, or le principe de non refoulement ne doit souffrir d’aucune exception. Plus grave encore, le fait de ne pas porter assistance à des personnes risquant leur vie sur une embarcation de fortune est une violation intolérable des droits fondamentaux.

En mettant en place un système de coopération avec les pays tiers, dans les faits, Eurosur est un système d’alerte précoce sur le départ de migrants, voire de récupération par ces pays tiers de migrants ayant pris la mer. L’UE se décharge ainsi de ses responsabilités. Les accords multilatéraux envisagés aggraveraient ce système et ceci sans contrôle, en particulier du Parlement européen.

Concernant la notion peu précise « d’utilisation exceptionnelle » de données personnelles, l’AEDH veut marquer sa très grande inquiétude, rejoignant ici celle du Contrôleur européen de la protection des données. Elle veut souligner le risque important de détournement de finalité de données personnelles et le non respect du principe de nécessité et de la proportionnalité. Elle ne peut que s’opposer à la transmission de données personnelles à des pays tiers sans que ces pays n’obéissent aux mêmes normes de garanties européennes. Elle considère inacceptable la transmission de données personnelles qui concernerait des migrants et des demandeurs d’asile, ayant pourtant un caractère particulièrement sensible et nécessitant donc des garanties additionnelles.

L’AEDH appelle les parlementaires européens à se saisir de ce dossier très politique, pour que soient garantis les droits fondamentaux. Pour que le contrôle parlementaire joue parfaitement son rôle. Pour qu’Eurosur soit d’abord un instrument de lutte contre la criminalité transfrontalière et un outil de sauvetage en mer de migrants et demandeurs d’asile qui cherchent, au risque de leur vie, à trouver en Europe une vie meilleure. L’AEDH appelle les ONG, les citoyens, à s’opposer à ce projet de règlement qui n’offre pas les garanties indispensables de protection des droits fondamentaux tels que définis dans la Charte et les Conventions internationales.

Voir la position détaillée de l’AEDH sur la proposition Eurosur.

Bruxelles, le 20 juin 2012,


[1] European Commission Communication, February 13th 2008, concerning the setting up of a European border system, Eurosur.

Communiqués de la LDH

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