La résolution politique de notre récent congrès « Pour un renouveau de la démocratie » soulignait l’urgence à : « inventer une nouvelle efficacité démocratique, pragmatique et radicale, fondée sur les droits de l’Homme et résolument ancrée dans leurs déclinaisons mondiales. Car dans les processus en cours, la démocratie apparaît partout comme l’enjeu central de convulsions dont l’issue n’est écrite nulle part. »
Le moins qu’on puisse dire, c’est que les soulèvements survenus en Turquie, au Brésil, en Egypte, valident cette analyse. Certes, l’histoire a déjà enregistré des mouvements de cet ordre d’ampleur ; mais ceux-ci ont des caractéristiques singulières. A l’image de ceux qui se sont produits en Tunisie, en Espagne ou aux Etats-Unis, ils mettent en scène une jeunesse urbaine souvent qualifiée et laissée pour compte. Ils procèdent d’un refus symbolique, d’un consensus inversé vis-à-vis, non du progrès en tant que tel, mais de projets jugés comme aggravant un ordre injuste et dont il n’est qu’un alibi.
En Turquie, c’est le refus d’un projet urbain destructeur au plan environnemental et historique, doublé d’autoritarisme ; au Brésil, c’est le refus d’une dépense somptuaire liée à la coupe du monde de football qui met le feu aux poudres ; en Egypte, c’est le poids de la corruption et de l’autoritarisme qui relance le processus de mobilisation. Ces mouvements, qui ne sont pas sans rappeler ceux des indignés espagnols ou de Occupy Wall Street, éclairent la mobilisation française contre le projet de l’aéroport de Nantes, même si celle-ci connaît une configuration très spécifique.
En Turquie, au Brésil, en Egypte, on assiste à un mélange détonnant de refus de l’arbitraire, des inégalités sociales, de la corruption sur fond d’épuisement du modèle économique et… à une absence d’alternative politique. Ces mouvements sont d’ailleurs difficiles à inscrire dans des catégories politiques ou sociales classiques ; ils ne sont ni de gauche ni de droite à proprement parler et difficilement « récupérables ». La droite s’y est essayée au Brésil, en vain ; mais la gauche au pouvoir n’a pas été audible. En Turquie, lorsque les syndicats ont tenté de prendre le relais à Taksim, le fiasco a été immédiat ; en Egypte, la formule « impossible faire contre les frères musulmans, difficile de faire sans eux » résume le même type de situation, caractérisée par l’affrontement d’un pouvoir à l’assise populaire fragilisée et d’un contre-pouvoir populaire renforcé, mais sans traduction politique.
L’espoir est donc à l’aune des risques. Espoir d’un changement démocratique, d’ores-et-déjà en construction, risques de colères démocratiques sans lendemains… Une situation qui n’est pas sans rapport avec les problématiques politiques françaises, telle que l’élection partielle de Villeneuve-sur-Lot en fournit une sorte de saisissant résumé : un sentiment global d’injustice et d’impasse, un désenchantement du politique et une défiance des politiques, une incompréhension des cercles dirigeants vis-à-vis des dirigés, une exaspération croissante des seconds vis-à-vis des premiers. Et, corrélativement, une véritable disponibilité à des instrumentalisations politiques, singulièrement d’extrême droite. C’est cet état des lieux que nous avions rappelé au président de la République en dressant quelques constats sévères, sans acrimonie : l’espoir d’un « changement maintenant » à ce jour déçu ; une finance désignée comme un adversaire mais qui règne toujours ; un chômage en augmentation et une paupérisation qui inquiète jusqu’aux catégories moyennes et moyennes supérieures de la population.
Il va nous falloir, dans les mois qui viennent, travailler, à partir de la défense des droits, à inverser cette tendance délétère, s’opposer à la démagogie sociale de l’extrême droite, à l’opportunisme de la droite tentée par des radicalisations xénophobes, à la pusillanimité, enfin, des forces qui sont tentées de reprendre à leur compte les valeurs du sécuritaire et de la xénophobie pour désarmer électoralement la droite.
C’est possible, au prix d’une défense becs et ongles de l’égalité des droits, de la réaffirmation d’un intérêt général, d’une fraternité appelant les solidarités nécessaires face aux défis présents. C’est dire les responsabilités de la LDH dans les mois qui viennent.