Excellent documentaire, à recommander à toutes les sections qui veulent s’informer et organiser des débats sur le Front national : très documenté, clair, construit, donnant la parole aux responsables du FN (quand ils ne chassent pas les journalistes, ce qui contraint ceux-ci soit à cesser de filmer, soit à tourner en caméra cachée), à l’UMP comme à l’opposition socialiste et communiste et aux habitants.
Nous sommes dans le Vaucluse, avec un FN présent aux cantonales et tenant deux municipalités : Orange depuis 1995 (Jacques Bompard) et Bollène (sa femme Marie-Claude) depuis 2008. Que l’étiquette change, Ligue du sud ou Front national, c’est du pareil au même : Jacques Bompard est un ancien de l’OAS, d’Occident, lié au Bloc identitaire. L’heure est à l’affichage de la modération et à la revendication du bon sens, mais le fond n’a pas changé.
Le film évoque successivement la place de l’héritage colonial, dans une région où les nostalgiques de l’Algérie française sont nombreux, jusque dans les casernes du 1er REC de la Légion ; l’économie, avec le déclin de l’agriculture et de l’agro-alimentaire, l’absence de moteur industriel, sauf le nucléaire à Bollène, ville ouvrière longtemps communiste, passée au FN à cause des divisions de la gauche ; les politiques municipales, de censure des bibliothèques et achats de livres négationnistes, d’effondrement des budgets associatifs sociaux et culturels, d’abandon à l’Etat des services publics, de harcèlement des employés municipaux et d’intimidation des opposants. Vient ensuite l’urbanisme : les Bompard laissent pourrir les cités périphériques, ferment les équipements collectifs, stades et aires de jeux compris, bref créent de l’insécurité pour pouvoir accuser les jeunes des cités de tous les maux, tandis que les centres-villes sont coquets, truffés de caméras de surveillance et que tout terrain libre est loti par des promoteurs, aux dépens du logement social. On ajoute à cela une communication très coûteuse et efficace, axée sur la peur de l’insécurité, des jeunes et des étrangers ; et enfin un matraquage idéologique, avec fêtes médiévales et cochon rôti, affiches de têtes blondes, restauration active des églises et projet de mosquée sans cesse ajourné – et renvoyé au diable, en zone inondable. Madame Bompard, qui revendique la laïcité quand il s’agit de l’Islam, fréquente les catholiques intégristes et a consacré sa ville au Sacré-Cœur de Jésus.
Or Jacques Bompard a été réélu deux fois, avec plus de 60% des voix. Où sont les responsabilités ? Thierry Mariani, élu local, ministre des Transports et fondateur de la Droite populaire, ne se cache guère d’avoir fait alliance avec le FN, en espérant rester hégémonique. Les élus de gauche se disent aussi responsables, avec leurs conflits et leurs divisions. Et voilà le travail : une gestion injuste, aberrante, un climat qui sue la haine et la peur, un dévoiement de la démocratie par ceux-là même qui s’en servent pour prendre le pouvoir.
Mains brunes sur la ville
Film documentaire, 2012
90’
Réalisation et enquête : Bernard Richard et Jean-Baptiste Malet
Production et distribution : La Mare aux canards