Sélection de décisions du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat et de la Cour européenne des droits de l’Homme en matière de droits de l’Homme et de libertés fondamentales.
I – CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Décision n° 2013-320/321 du 14 juin 2013 du Conseil constitutionnel qui considère que les dispositions de l’article 717-3 du code de procédure pénale qui prévoient que les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail « ne portent en elles-mêmes, aucune atteinte aux principes énoncés par le Préambule de 1946 ; qu’elles ne méconnaissent pas davantage le principe d’égalité ni aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ». Demeure le contrôle de conventionnalité en se fondant sur les textes européens ou internationaux comme les conventions de l’Organisation internationale du travail.
II – CONSEIL D’ETAT
Arrêt du Conseil d’Etat du 5 juillet 2013, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (req. n° 36441). Le Conseil d’Etat avait été saisi d’un recours en annulation pour excès de pouvoir à l’encontre de la décision implicite de rejet du Premier ministre d’abroger les dispositions règlementaires du code rural (article R.214-70) qui admettent une exception à l’obligation d’étourdissement des animaux avant l’abattage ou la mise à mort, si cet étourdissement n’est pas compatible avec la pratique de l’abattage rituel. Le Conseil d’Etat rejette la requête au motif, notamment, que « la disposition contestée a été édictée dans le but de concilier les objectifs de police sanitaire et l’égal respect des croyances et traditions religieuses ; que, s’il résulte du principe de laïcité que celui-ci impose l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et le respect de toutes les croyances, ce même principe impose que la République garantisse le libre exercice des cultes ; que, par suite, la possibilité de déroger à l’obligation d’étourdissement pour la pratique de l’abattage rituel ne porte pas atteinte au principe de laïcité ».
Arrêt du Conseil d’Etat du 17 juillet 2013, M.A., req. n° 359417 qui a considéré que « si les données nominatives figurant dans le « système de traitement des infractions constatées » [Stic] portent sur des informations recueillies au cours d’enquête préliminaires ou de flagrance ou d’investigations exécutées sur commission rogatoire et concernant tout crime ou délit ainsi que certaines contraventions de cinquième classe, les décisions en matière d’effacement ou de rectification , qui ont pour objet la tenue à jour de ce fichier et sont détachables d’une procédure judiciaire, constituent des actes de gestion administrative du fichier et peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif ». Par conséquent, le Conseil d’Etat en déduit « qu’en jugeant que les décisions du Procureur de la République relatives à l’effacement des mentions figurant dans le « système de traitement des infractions constatées » constituent des mesures d’administration judiciaire, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit ».
III – COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME
Arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme (Première section) du 30 mai 2013, Lavida et autres c. Grèce, req. n° 7973/10, qui considère que « même en l’absence de toute intention discriminatoire de la part de l’Etat… la position qui consiste à pérenniser la scolarisation des enfants roms dans une école publique fréquentée exclusivement par des Roms et à renoncer à des mesures antiségrégationnistes effectives… et ce en raison de l’opposition manifestée par des parents d’élèves non roms, ne peut être considérée comme objectivement justifiée par un but légitime… Partant, il y a eu violation de l’article 14 (prohibition des discriminations) de la Convention combiné avec l’article 2 (droit à l’instruction) du Protocole n° 1 à la Convention… ».
Arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 27 juin 2013, Vassis/France, req. n° 62736/09, qui a condamné la France pour violation de l’article 5 paragraphe 3 (Droit à la liberté et à la sûreté) dans une affaire où des personnes avaient été retenues en mer pendant 18 jours en dehors de tout contrôle juridictionnel et n’avaient été traduites devant une autorité judiciaire que tardivement (après un délai supplémentaire de 48 heures). L’un des intérêts de l’arrêt est qu’il confirme que la présentation des personnes retenues devant le procureur était insuffisante car ce dernier n’est pas une autorité judiciaire au sens de l’article précité. Comme la Cour l’avait déjà relevé dans des arrêts antérieurs, il lui manque, notamment, l’indépendance à l’égard de l’exécutif et l’impartialité, étant une partie poursuivante.
Arrêt de la Grande Chambre de la Cour européenne de droits de l’Homme du 9 juillet 2013, Vinter et autres c. Royaume-Uni, req. n° 66069/09, 130/10 et 3896/10. La Cour a considéré, au visa de l’article 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des droits de l’Homme que pour qu’une peine perpétuelle demeure compatible avec l’article précité, il doit exister aussi bien une possibilité d’élargissement qu’une possibilité de réexamen. La Cour relève que la grande majorité des Etats du Conseil de l’Europe prévoit le réexamen des peines perpétuelles après vingt-cinq ans d’emprisonnement puis périodiquement. La Cour ajoute, toutefois, que le constat de violation dans le cas des requérants ne saurait être compris comme leur offrant une perspective d’élargissement imminent. L’opportunité de leur mise en liberté serait dépendante, par exemple, de l’examen de leur situation pour déterminer si leur maintien en détention se justifie toujours pour des motifs légitimes de traitement pénal ou pour des raisons de dangerosité.
Cette arrêt porte condamnation de la période de sûreté instaurée par le code pénal lorsqu’elle dépasse 25 ans ce qui est le cas pour les infractions citées par l’article 221-3 du code pénal. Cet article prévoit, en effet, une période de sûreté de 30 ans ou même la réclusion perpétuelle réelle sur décision de la cour d’assises.
Une fois de plus, démonstration est faite de l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme sur les droits internes des Etats.
Renvoi à la Grande Chambre. La Chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme qui avait été saisie d’une affaire contre la France, S.A.S. c. France, req. n°43835/11, où la requérante invoquait que la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public portait atteinte à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (articles 3, 8, 9, 10 11 et 14), s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre. Il ne s’agit pas que d’une question de procédure. En effet, la Grande Chambre est saisie (outre des recours contre les arrêts des chambres) des affaires qui posent des questions de principe. Si l’on se fonde sur la jurisprudence (mais celle-ci est parfois fluctuante) de la Cour, il est probable que celle-ci considère que par la loi précitée, la France a commis une violation de la Convention. C’est ce que le Conseil d’Etat avait d’ailleurs laissé entendre dans un rapport de 2010. L’affaire est inscrite au rôle de l’audience solennelle de la Grande Chambre du 27 novembre 2013. A suivre…