Communiqué commun dont la LDH est signataire
Augmentation des décès en mer, absence de voies légales, aucune procédure d’identification: le parcours cauchemardesque des réfugié-e-s, migrant-e-s, demandeur-se-s d’asile se poursuit jusque dans la mort.
Deux mois après le naufrage (21 septembre 2022) au large de Zarzis en Tunisie et presque cinq mois après le massacre au point de passage entre Nador et Melilla au Maroc, les naufrages et les pertes de vies humaines au large des côtes de la Méditerranée se poursuivent sans cesse. L’impunité des pays et acteurs responsables de ces tragédies est flagrante. Les organisations signataires tirent la sonnette d’alarme et dénoncent cette hécatombe aux frontières extérieures de l’Union Européenne.
Depuis 2021, le nombre de décès ne cesse d’augmenter
Selon un rapport récent du Projet Missing Migrants de l’Organisation Internationale pour les Migrations, 5684 hommes, femmes et enfants ont perdu leurs vies sur les routes migratoires vers et en Europe depuis le début de l’année 2021. Depuis 2014, ce sont 29.000 personnes qui ont perdu la vie en mer. Ces chiffres sont malheureusement incomplets en raison du grand nombre de « naufrages invisibles » tant sur la route de la Méditerranée centrale que sur celle de l’Atlantique.
Derrière ces chiffres se trouvent des vies entières, des histoires, des familles, des frères et sœurs, des enfants et des ami-e-s, qui ont le droit de savoir comment leurs proches ont perdu la vie, de récupérer et d’identifier leurs corps, de leur donner une sépulture et un deuil digne.
Selon le rapport de Caminando Fronteras, sur les routes migratoires vers l’Espagne, 978 personnes dont 41 mineur-e-s sont décédé-e-s dans les six premiers mois de 2022. Sur la route des Canaries, ce sont 800 personnes qui ont perdu la vie. Au total, 18 bateaux ont disparu avec toutes les personnes à bord. Près de 90% des victimes disparaissent en mer et leurs corps ne sont jamais retrouvés.
Lors du seul mois de juillet 2022, 300 personnes sont mortes en tentant de rejoindre les îles Canaries depuis le Sénégal. A la mi-août 2022, 18 personnes dont un bébé sont mortes au large de Tarfaya au Maroc. Elles attendaient depuis 8 heures une opération de sauvetage. Le 1er octobre 2022, un navire marchand a secouru un homme à bord d’un canot pneumatique dans l’Atlantique. Dans le bateau, se trouvaient également 4 personnes décédées et l’homme a signalé que 29 autres étaient portées disparues. Le 28 octobre 2022, les corps de 34 personnes ont été rejetés sur le rivage au sud de Dakhla. Au début du mois d’août, un bateau avec 14 personnes a disparu après son départ de Tipazza, en Algérie. Ces chiffres ne sont que quelques exemples dans un océan de désespoir.
Des raisons multiples et aisément améliorables
Cette violence accrue à l’égard des personnes migrantes et l’augmentation des décès sont une conséquence directe des politiques migratoires d’externalisation de l’UE et des États membres qui visent à un plus grand contrôle et une sécurisation des frontières maritimes des États d’Afrique du Nord. Ces mesures ont entraîné le déplacement des routes migratoires vers des itinéraires de plus en plus dangereux et donc une augmentation des décès.
Au lieu d’ouvrir des voies légales et sûres et d’établir des mécanismes de recherche et de sauvetage en mer, l’UE et ses Etats Membres continuent à mener des politiques migratoires sécuritaires et mortifères.
L’approbation, par le gouvernement espagnol, de l’envoi de 30 millions d’euros supplémentaires au Maroc pour le contrôle de la migration en est un exemple flagrant. Depuis 2019, le Maroc a reçu 123 millions d’euros de l’Espagne pour le contrôle de la migration, en quatre versements séparés. Dans le même temps, l’UE a fourni 346 millions d’euros au Maroc au cours de la même période et enverra 500 millions d’euros supplémentaires jusqu’en 2027. La Tunisie n’est pas en reste, vec l’envoi par l’Italie, entre 2020 et 2021, de 19 millions d’euros pour le contrôle des frontières.
Dans ce contexte, l’outrage et la violence à l’égard des personnes en migration se poursuit même après la mort, comme en témoigne l’absence de procédures d’identification de la Libye à la Tunisie, de l’Algérie au Maroc. Une situation dénoncée par les organisations signataires depuis longtemps.
Oublié-e-s jusque dans la mort : le manque de procédures d’identification dénoncé
L’outrage pour les personnes disparues se poursuit bien souvent jusque dans la mort. Les politiques en matière d’identification des corps de la part des autorités des pays du Maghreb et du pourtour méditerranéen étant plutôt peu regardantes. Ces politiques consistent bien souvent à enterrer les corps retrouvés sur les plages après des naufrages sans procéder à aucun test ADN ni à aucune autre procédure d’identification sommaire. Le dernier exemple de cette absence de procédure date de début octobre 2022 lorsque les corps de 18 jeunes personnes retrouvés à Zarzis (dont des familles, des femmes et des enfants), ont été enterrés sans aucune forme d’identification. Cet événement a suscité de fortes protestations et une indignation de la part de familles et de la société civile qui réclament que les corps des personnes décédées lors de naufrages soient récupérés, identifiés et enterrés dignement.
Le même manque de procédures d’identification et de recherche de personnes disparues se retrouve sur la route Atlantique et celle de la Méditerranée occidentale. La pratique de l’enterrement sans identification a été documentée également aux frontières terrestres, comme par exemple à la frontière entre Nador et Melilla après le drame du 24 juin 2022, où au moins 37 migrant-e-s sont mort-e-s en tentant de franchir la frontière. Selon l’Association Marocaine des Droits Humains (AMDH), 77 personnes sont toujours portées disparues, mais le nombre final de mort.e.s et disparu.e.s ne sera jamais véritablement connu. Juste après le drame du 24 juin, l’AMDH Nador a noté que les autorités voulaient enterrer les corps sans faire les enquêtes nécessaires et sans identifier les corps. C’est seulement grâce à l’intervention de l’AMDH que les autorités ont stoppé cet enterrement sommaire.
Selon une enquête récente de la BBC le 24 juin dernier des corps sans vie ont été traînés par la police marocaine dans une zone qui, selon la BBC, était sous contrôle espagnol. Dans le même temps, le ministère de l’intérieur espagnol nie avoir trainé les cadavres de Melilla vers la frontière marocaine, tandis qu’il est aussi accusé d’avoir dissimulé des preuves cruciales de vidéosurveillance dans le cadre d’enquêtes officielles.
Le 31 octobre 2022, des experts de l’ONU ont dénoncé le manque de responsabilité en Espagne et au Maroc et demandent une “enquête approfondie, des réparations aux victimes et à leurs familles, ainsi que des garanties que cela ne se répètera pas”.
La multiplication des décès en mer et l’outrage que constitue le mauvais traitement des corps dans la mort ne peut plus être toléré sur le pourtour méditerranéen. Les organisations signataires émettent donc une série de recommandations pour l’Union européenne, les Etats membres et les Etats de la rive sud afin de mettre un terme à ces pratiques.
Signataires :
EuroMed Droits, Association Marocaine des Droits Humains (AMDH), L’Organisation Marocaine DES Droits Humains (OMDH), Association Aides Aux Migrants En Situation Vulnerable (ASMV), Réseau Marocain des Journalistes des Migrations (RMJM), Association Collectif des Communautés Subsahariennes au Maroc (CCSM), ASSOCIAZIONE RICREATIVA CULTURALE ITALIANA (ARCI), Milano senza Frontiere, Borderline Sicilia , Mem.Med -Mémoire Méditerranée, Association enfant de la lune (Tunisie), Association pour le Leadership le Développement en Afrique (ALDA), Association des Etudiants et Stagiaires Africains en Tunisie (AESAT), Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH), Avocat Sans frontière (ASF), Afrique Intelligence, Ligue Algérienne des Droits de l’Homme (LADDH), Centre National de Coopération au Développement (CNCD-11.11.11), Anti-Racism Movement (Lebanon), Greek Refugee Council (GCR), LDH (Ligue des droits de l’Homme)-France, Citizens Assembly of Turkey, Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS),
Institut du Caire pour les Études des Droits de l’Homme (ICEDH), Aman against Discrimination(AAD), « LIBYAN NETWORK FOR LEGAL AID », ADALA FOR ALL (AFA), Belaady Organization for Human Rights, Justice without chains, Libyan Crimes Watch (LCW), اndependent organization for human rights (IOFHR), Aswat media network, The Libyan center for freedom of the press, Libya Al Mostakbal, Borderline Europe, Carovane Migranti, LasciateCIEntrare, Rete Antirazzista Catanese
Le 30 novembre 2022