Ce texte est l’aboutissement d’un processus d’écriture collective engagé à l’issue du Colloque international « Construire les politiques de lutte contre la pauvreté urbaine à partir du terrain ? », organisé le 4 et 5 juillet 2019 à Paris. Une pétition liée à ce texte circule actuellement sur la plateforme Change.org, accessible ici.
Monsieur le Président de la République,
Il y a un an, vous présentiez la nouvelle stratégie de lutte contre la pauvreté. Il est difficile de faire un bilan des mesures annoncées mais la pauvreté s’est accrue ces dernières années. La gravité de la situation nous amène, nous, personnes en situation précaire, professionnels de l’action sociale et de l’insertion, militants associatifs et chercheurs travaillant sur la pauvreté à vous écrire pour rappeler l’importance des acquis sociaux dans la lutte contre la pauvreté et pour proposer des pistes d’action à partir de notre expérience du terrain.
1 – Il faut défendre les acquis sociaux, à notre avis davantage mis à mal que renforcés par les réformes en cours. Premier rempart contre la pauvreté, l’Etat social contribue à l’économie et à la survie des territoires locaux, en même temps qu’il offre des ressources indispensables pour sortir de la pauvreté. Dans cette optique, le principe d’inconditionnalité dans l’accès aux droits sociaux pour les personnes en détresse est évidemment primordial. Rappelons encore que seul ce principe est de nature à assurer le respect de l’égalité, valeur cardinale de notre République, inscrite dans notre Constitution et internationalement proclamée.
2 – Les pouvoirs publics doivent davantage soutenir les initiatives locales. Loin de rester les bras croisés, les personnes en grande précarité multiplient les initiatives, notamment dans le secteur informel (recyclage, réparation, commerce). Il faudrait plus de tolérance par rapport à ces activités qui constituent un levier pour subvenir à ses besoins et sortir de la pauvreté. Les initiatives des professionnels de l’action sociale et des acteurs associatifs sont aussi très importantes : dans bien des cas, elles aident les personnes en grande précarité à lever les obstacles institutionnels et à accéder à des ressources supplémentaires, tout en facilitant leur intégration au sein des territoires locaux. En outre, de nombreuses initiatives locales permettent de développer le savoir dispensé par les personnes concernées, dont la connaissance est indispensable pour l’action sociale et par conséquent pour la formation des professionnels et des cadres administratifs en charge de la lutte contre la pauvreté.
Toutes ces actions demandent des moyens qui manquent de plus en plus à cause des coupes budgétaires. En outre, le temps dont disposent les acteurs de terrain est limité en raison d’un système bureaucratique toujours plus pesant, chronophage, et fractionné par la généralisation des financements sur projet. D’où la nécessité de simplifier les procédures, d’envisager des financements pérennes pour l’action sociale et pour l’expérimentation de nouveaux dispositifs, si l’on veut respecter le temps long de l’insertion sociale et économique tout en se donnant la possibilité de travailler dans de bonnes conditions.
3 – Lutter contre la pauvreté implique d’investir davantage dans l’humain. Si l’utilité des outils numériques est avérée, la dématérialisation renforce cependant les inégalités d’accès aux services et aux droits en excluant les personnes en situation de précarité. Le face à face est par ailleurs indispensable pour construire des relations de confiance et adapter l’action sociale aux besoins des personnes. Plus que dans le numérique, c’est donc dans l’humain qu’il faut investir si l’on veut vraiment lutter contre la pauvreté. Investir dans l’humain, cela signifie aussi de prendre les gens au sérieux. C’est d’ailleurs la seule voie à suivre si l’on veut leur permettre d’être des citoyens à part entière ! Mais dans les faits, les personnes en situation précaire sont au mieux invitées à donner leur avis. Quant aux professionnels, sous la pression des managers qui dirigent désormais l’action sociale, ils sont souvent démotivés et épuisés.
Monsieur le Président, les pouvoirs publics nous semblent être devant le dilemme suivant :
1) Faire des économies de moyens en faisant des coupes budgétaires, en investissant dans le numérique plus que dans l’humain, et en appliquant des méthodes managériales peu respectueuses des personnes. Mais ne risque-t-on pas alors d’accentuer les situations de précarité et les tensions sociales, voire de provoquer une nouvelle crise sociale et politique ?
2) S’engager plus nettement dans la lutte contre la pauvreté, ce qui implique de reconnaitre l’inconditionnalité de l’accès aux droits sociaux, de porter un regard véritablement positif sur les personnes, et de mettre en œuvre les moyens adéquats.
L’Etat en est sûrement capable puisque la richesse nationale, comme la pauvreté, a progressé durant les dernières décennies.
Les associations signataires (par ordre alphabétique) :
Advocacy-France ; Association Amelior ; Association Nationale Compagnons Bâtisseurs ; Collectif Soif ; Coordination Nationale Pas Sans Nous ; Fédération de l’Entraide Protestante ; Ligue des droits de l’Homme (LDH) ; Petits Frères des Pauvres ; Secours Catholique ; Solidarités Nouvelles pour le Logement (SNL) ; Uniopss.