« Le droit à l’éducation des enfants roms menacé par des expulsions incessantes »

Paris, le 10 mars 2016

Madame la Ministre,

La Ligue des droits de l’Homme tient à vous exprimer sa plus vive inquiétude concernant les conditions dans lesquelles est respecté, pour les enfants roms (ou supposés tels), le droit fondamental à l’éducation.

Vivant avec leurs parents dans une grande précarité, ces enfants voient ce droit fondamental menacé par des expulsions incessantes. Pourtant, la législation française soumet à l’obligation scolaire tout enfant, français ou étranger, âgé de 6 à 16 ans et résidant sur le territoire national. Par ailleurs, la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide), ratifiée par la France, prévoit pour chaque enfant le droit à l’éducation.

Dans un communiqué de presse du 12 janvier dernier, la LDH recensait les évacuations forcées de lieux de vie occupés par des Roms (ou perçus comme tels) et en dénonçait le caractère indigne, inhumain et dégradant. Durant l’année 2015, 60 % des personnes recensées occupant des bidonvilles ont été évacuées de force. Et la liste s’allonge. En effet, selon notre dernier recensement, 2 582 personnes ont été évacuées de force de leurs bidonvilles durant les mois de janvier et février 2016, soit environ 300 personnes par semaine. Nous estimons qu’un tiers de ces personnes sont des enfants.

Malgré les structures spécifiques mises en place par l’Education nationale, les enfants roms doivent parcourir un chemin semé d’embûches pour entrer dans une salle de classe. Si l’on veut que leur scolarisation ne reste pas le vœu pieux d’un texte officiel, il faut accomplir tout un travail préalable qui n’est, pour l’instant, réalisé par aucun service de l’Etat: identifier les familles avec des enfants scolarisables, les informer et les accompagner pour les formalités administratives. Ce sont les militants associatifs qui accomplissent ce travail.

Nous vous exposons en annexe le cas de Wissous, qui est emblématique à cet égard. Mais nous retrouvons cette même situation dans beaucoup d’autres endroits sur tout le territoire national.

Sans ces militants, sans leur forte implication, la scolarisation des enfants roms aurait été impossible. De plus, les résultats scolaires sont encourageants. Les enseignants soulignent fréquemment les progrès importants réalisés par les enfants, notamment dans la maîtrise de la langue française.

Cependant, ce travail et ces résultats sont anéantis par les expulsions continues des bidonvilles. Les services préfectoraux des départements qui prêtent le concours de la force publique à ces évacuations prennent ainsi la responsabilité d’un terrible gâchis : la scolarisation des enfants sera interrompue, voire définitivement arrêtée. A quelle nécessité impérieuse répond le besoin de les expulser en hiver, en pleine année scolaire, et de compromettre ainsi les premières pierres de l’intégration et de l’accès à la formation ?

Les organisations internationales dénoncent elles aussi fermement ces expulsions. Dans sa lettre à M. B. Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, en date du 26 février 2016, le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe constate qu’elles « interrompent les parcours scolaires des enfants roms, compromettent le suivi médical et fragilisent le maintien dans l’emploi ». Dans le rapport de l’Unicef, qui rassemble plusieurs contributions d’experts sur la situation des droits de l’enfant en France, « les enfants peuvent bien attendre ».

Olivier Peyroux, sociologue spécialiste de la thématique des mineurs migrants, pointe « une politique qui s’est intensifiée sous le gouvernement actuel [et] va à l’encontre du principe de l’obligation scolaire faisant pourtant partie des droits fondamentaux. […] Une étude du collectif Romeurope montre que moins de la moitié des enfants roms vivant en France, en âge d’être scolarisés, le sont. La principale raison n’est pas due à des parents réfractaires mais provient du refus de nombreuses municipalités, toutes couleurs politiques confondues, d’inscrire ces enfants par peur de pérenniser l’installation des Roms sur leur commune ».

Madame la Ministre, nous nous adressons à vous parce que nous attendons de l’Etat français et des collectivités territoriales qu’ils respectent les droits fondamentaux des personnes vivant sur le territoire national et, en premier lieu, le droit à l’éducation, devant lequel tous les enfants doivent être égaux.

Nous vous demandons de porter cette parole auprès de vos homologues du gouvernement pour que cessent ces politiques de déplacement systématique qui compromettent la scolarisation, voire la rendent impossible.

Nous vous demandons, enfin, de veiller à ce que tous ces enfants roms puissent sereinement continuer leurs parcours scolaires avec leurs camarades, leurs professeurs, au sein des établissements dans lesquels ils ont, parfois difficilement mais sûrement, pris leur place.

Compte tenu des circonstances, vous comprendrez, Madame la Ministre, que nous rendions cette lettre publique.

Je vous prie de croire, Madame la Ministre, en l’expression de ma haute considération.

 

Françoise Dumont
Présidente de la LDH

 

Cas de Wissous :

L’exemple de Wissous est emblématique de l’énorme travail accompli par les militants associatifs pour parvenir à scolariser régulièrement plus de trente enfants, les conduire chaque jour en classe dans leurs propres véhicules puisqu’ils ne pouvaient pas emprunter le car scolaire de la ville. Ils ont ensuite réalisé un important travail d’interface avec l’Education nationale. En ce qui concerne la situation au collège, la lenteur de la réaction de la DSDEN 91 et le refus d’ouvrir une UPE2A-NSA ont été préjudiciables : évalués le 11 septembre dernier par le Casnav, sept collégiens ont été affectés le 17 novembre seulement, dans une classe UPE2A, déjà surchargée.

Le tribunal administratif de Versailles vient de rejeter (le 1er mars dernier) la requête en référé de familles roms visant à surseoir à leur expulsion de Wissous jusqu’au jugement d’un recours qu’elles ont déposé sur le fond. Elles ont été expulsées le 3 mars 2016.

 

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Communiqués de la LDH

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