Le Fnaeg ou la nécessaire modification de l’appréciation du besoin d’ingérence dans la vie privée au regard de la proportionnalité du but poursuivi

Créé le 17 juin 1998, dans le contexte de l’affaire Guy Georges, le fichier national automatisé des empreintes génétique (Fnaeg) visait à son origine les auteurs d’infractions sexuelles.

Dans le contexte sécuritaire de l’après 11 septembre, le Fnaeg a été étendu à la quasi-totalité des délits d’atteinte aux personnes et aux biens.



Les questionnements proposés ici sont issus des observations initiales du 30 septembre 2010 du gouvernement à la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), à l’occasion de la requête n°47447/08 introduite le 10 octobre 2010.

La Cour interroge le gouvernement français sur le respect de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme :

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Le gouvernement admet la violation de la vie privée et se base sur l’article 8-2 de la Convention européenne. Il considère que l’ingérence du fichage génétique est « prévue par la loi  » et « nécessaire dans une société démocratique ».

17. le gouvernement ne conteste pas que l’obligation de se soumettre au prélèvement des empreintes génétiques dont le non-respect par le requérant à conduit à sa condamnation pénale ne constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée


Il n’y pas de doute sur le fait que l’ingérence dispose d’une base légale, il faut donc étudier la légitimité de l’ingérence sur différents points :

– but poursuivi par le fichier ;

base de recrutement du fichier ;

durée de conservation des données ;

nécessaire ajustement de l’appréciation du besoin d’ingérence au regard de la proportionnalité du but poursuivi.

Le gouvernement indique que le fichier vise à l’identification et que la conservation des empreintes tend à contribuer à l’identification de futurs délinquants.

Le Fnaeg, dans sa version étendue, concerne plus de 135 infractions y compris les moins graves. Ses extensions successives en ont modifié l’objet.

Le fichage génétique est devenu une peine en soi.

La plupart des enquêtes relatives aux délits visés par le Fnaeg ne donne quasiment jamais lieu à des expertises génétiques.

Le gouvernement entretient dans son mémoire une confusion volontaire avec le but initial du fichier (lutter contre la récidive en matière de crimes et délits sexuels sur mineurs de moins de 15 ans) en se référant au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (Fijais) pour justifier l’ingérence.

51. Enfin, le gouvernement propose de mettre en balance l’intérêt pour la société de prévenir les infractions sexuelles et la gravité de l’atteinte au droit du requérant au respect de sa vie privée. Selon lui, la création du Fijais s’inscrit dans le cadre de la mise en place progressive d’un régime juridique propre aux infractions de nature sexuelle, qui trouve sa justification dans la prise de conscience relativement récente de la spécificité de ces infractions. (…) La création du Fijais, dans ce contexte, avait pour but de combler les lacunes du dispositif de prévention, dans les cas particulièrement graves d’infractions sexuelles.

(affaire Bouchacourt c. France, Requête n° 5335/06).

Le Fnaeg ne se borne pas à rechercher les auteurs de crimes et délits sexuels, mais l’ensemble des auteurs visé par l’article 706-55 du code de procédure pénale (CPP), c’est-à-dire la quasi-totalité des délits, à l’exception des délits routiers et financiers.

Les observations du gouvernement présentent une interprétation exagérée de l’arrêt Bouchacourt.

L’intérêt de prévention des infractions doit effectivement être mis en balance avec le respect de la vie privée. En se basant sur la recherche des auteurs de délits quotidiens, le Fnaeg ne répond plus à une nécessité démocratique.

Il faut remarquer que les modes d’entrée dans le Fnaeg et le Fijais diffèrent fortement. L’inscription au Fijais concerne les personnes condamnées ou dispensées de peines pour une infraction à caractère sexuel, ou d’une mise en examen pour des faits de même nature sur décision d’un juge d’instruction.

Loin de nécessité le recours à un magistrat, l’inscription au Fnaeg peut être le simple fait de la suspicion d’un officier judiciaire.

Ainsi, la plupart des personnes inscrites au Fnaeg ne sont même pas primo-délinquantes. La part des non condamnés dans le Fnaeg est aujourd’hui de 75 %. Le Fijais ne pourrait recruter dans ce champ.

Les chiffres montrent bien une différence significative : en 2008, 898 831 personnes été enregistrées au Fnaeg, contre 43 408 personnes au Fijais.

Fnaeg et Fijais ne sont pas comparables, les infractions les plus banales visées par le Fnaeg ne présentent aucune spécificité qui justifie une ingérence dans la vie privée.

Pour ce qui concerne la durée de conservation des données, le gouvernement se base sur l’arrêt Marper relatif au fichier génétique du Royaume-Uni, et précise que la durée de conservation des empreintes est limitée.

Effectivement, la durée est limitée : 25 ans pour les non-condamnés, 40 ans pour les condamnés. A ce compte, le choix aurait pu être 99 ans.

Pour justifier ces durées excessives, le gouvernement s’appuie sur la possibilité de désinscription du fichier.

37. Une procédure judiciaire d’effacement des données est prévue par les articles R 53-13-1 à R 53-13-6 du code de prcédure pénale. Les personnes concernées (…) disposent donc de véritables garanties procédurales en ce qu’elles ont la possibilité concrête de présenter une requête en effacement de données mémorisées lorsque leur conservation n’apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier (article 706-54 alinéa 2 du code de procédure pénale). La durée de conservation des données personnelles ne peut donc être considérée comme disproportionnée au regard du but poursuivi par la mémorisation.
En ce sens, la requête sur le fichier automatisé des empreintes digitales (Faed), affaire M. K. c. France (Requête n°19522/09) tend à rejeter l’argument de l’encadrement d’un tel fichier par la possibilité d’effacement.

Affaire M. K. c. France (Requête n°19522/09)

45. La Cour constate que si la conservation des informations insérées dans le fichier est limitée dans le temps, cette période d’archivage est de vingt-cinq ans. Compte tenu de son précédent constat selon lequel les chances de succès des demandes d’effacement sont pour le moins hypothétiques, une telle durée est en pratique assimilable à une conservation indéfinie ou du moins, comme le soutient le requérant, à une norme plutôt qu’à un maximum.

La complexité des démarches de désinscription est la même pour le Faed et le Fnaeg, les procureurs ne donnant, dans la pratique, quasiment jamais de réponse aux demandes.

Au paragraphe 40, le gouvernement mentionne les réserves du Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-25 QPC : la constitutionnalité du fichier est soumise au respect d’une proportionnalité entre la durée de conservation des données et les infractions concernées.

A la date de ses observations, le 30 septembre 2010, le gouvernement affirmait qu’il allait soumettre un décret au Conseil d’Etat, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), conformément aux exigences du Conseil constitutionnel.

Le décret n’a jamais été pris malgré des questions régulières posées par des députés à l’Assemblée nationale :

27/09/2011 : http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-118538QE.htm

01/11/2011 : http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-121087QE.htm

05/10/2010 : http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-89703QE.htm

Les articles 42 et 43 mettent en perspective les bases de proportionnalité sur les délits visés par le Fnaeg.

Les fauchages OGM, destructions de biens privés aggravées en réunion (punis de 5 ans de prison), ne sont plus passibles de fichage génétique suite à la création du délit de destruction de parcelle de culture autorisée, prévu à l’article L.671-15 du code rural.

La Cour de cassation considère que la non-inscription de ce dernier délit constitue une modification d’appréciation du législateur du besoin d’ingérence dans la vie privée au regard de la proportionnalité du but poursuivi.

Le gouvernement ne rejette pas ce principe, reconnaît la violation de l’article 8 de la Convention et propose par ailleurs une transaction financière pour éviter la condamnation, s’en remet à la sagesse de la Cour et propose une transaction de 6 000 € pour éviter le procès.

Le Fnaeg constitue aujourd’hui une ingérence dans la vie privée de plus de deux millions de personnes, qui ne peut être justifiée par le gouvernement par une nécessité démocratique.

Communiqués de la LDH

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