Les filles des banlieues. On croit tout savoir, les filles d’un côté, les garçons de l’autre ; les filles en jeans et en baskets pour se protéger des réputations de pute qui se répandent dans la cité comme une traînée de poudre. On peut craindre aussi que donner la parole exclusivement aux personnes concernées relève du politiquement correct. Et bien non.
Hélène Milano a pris son temps, elle nous promène des cités de Marseille à celles du 93, et fait parler un chœur de filles entre 13 et 18 ans, qui toutes manifestent de la lucidité, de l’humour et de l’intelligence, qui se débattent dans les mêmes contradictions. Et parmi lesquelles émergent des personnages formidables, comme Sarah la boxeuse qui joue aussi Les Trois Mousquetaires en costume sur des airs de Lulli, ou la petite Kahina qui a l’air d’un garçon, cachée dans son capuchon noir, boule de malice et passionnée de danse.
Ce dont elles parlent principalement, c’est du langage : la langue maternelle qu’on oublie peu à peu pour le langage du quartier, mélange d’arabe, de comorien ou de verlan ; à la fois facteur de reconnaissance mutuelle, de solidarité joyeuse et d’exclusion dès qu’on sort de la cité ou qu’on cherche du travail. Là viennent la peur de ne pas comprendre le français « soutenu » et l’humiliation : « A Paris, on vaut rien ». Certaines s’accrochent grâce à un prof’ qui ouvre des livres et des portes ; d’autres estiment que pour finir de toute façon vigile à Carrefour, faire des études est inutile. Elles revendiquent la cité comme un lieu vivant et heureux, c’est là qu’elles se sentent chez elles. En même temps elles reprochent à la France de ne pas les mélanger aux autres et de les rejeter.
Le plus intéressant est dans la question de la sexualité, celle qui donne son titre au film : la rose est la fleur de la femme, noire parce qu’elle doit se cacher. Ces filles racontent leur passage obligé, au moment de la puberté, par une phase de garçon manqué. Elles s’habillent comme des garçons pour cacher leurs formes, parlent avec la grossièreté des garçons, crachent par terre, jouent les méchantes et se battent. Il faut cacher sa faiblesse, « c’est plus un bouclier qu’une arme », dit l’une d’elles. Elles confortent les stéréotypes : les garçons sont dehors, ils aiment la violence et les motos, les filles doivent rester vierges. En même temps elles les contestent et revendiquent la liberté de leurs frères et l’égalité. Elles arrivent alors à la phase suivante, celles où elles retrouvent leur féminité, leur beauté, à travers les vêtements, le maquillage et la danse. Je veux devenir fille et « garder le petit garçon qui est en moi », dit alors l’une d’elles.
On ne saurait mieux mettre en œuvre la phrase fameuse de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient. » Et c’est en costume de garçon, chapeau sur la tête, que Kahina danse et dit retrouver sa féminité : elle est, sous nos yeux, la fabrique très compliquée du genre.
Sortie le 28 novembre
Les Roses noires
Film documentaire, 2012
Durée : 74’
Réalisation : Hélène Milano
Production : Comic Strip Production, France-Télévision