Communiqué commun
Elles déplorent la posture exprimée sur France 2 par le Premier ministre. Une réforme en profondeur est nécessaire, urgente et réaliste.
Lors de son interview sur France 2 jeudi 27 septembre, le Premier ministre, M. Ayrault, a indiqué, au sujet du projet de récépissés de contrôle que « ce n’était pas la bonne réponse » et qu’il « faisait toute confiance » à son ministre de l’Intérieur, abandonnant ainsi l’idée de réformer en profondeur la politique en matière de contrôles d’identité. Ce faisant, M. Ayrault fait une marche arrière très regrettable alors qu’il s’était personnellement engagé, au
moment des élections législatives, à faire respecter l’engagement du président de la République. Les huit organisations signataires appellent le Président de la République et le Premier ministre à respecter leurs engagements.
La posture du Premier ministre est incompréhensible alors qu’une réforme des contrôles d’identité, dans le but d’en finir avec les contrôles au faciès, est attendue par une grande partie de la population : celles et ceux qui sont victimes au quotidien de contrôles d’identité abusifs et plus généralement tous ceux qui veulent que l’Etat s’engage réellement contre toutes les formes de discriminations dans notre société.
La réforme en matière de contrôles d’identité est urgente et nécessaire et, contrairement aux affirmations du ministère de l’intérieur, est parfaitement réaliste, et même de nature à améliorer l’efficacité des forces de l’ordre.
Dans sa proposition n°30, François Hollande s’est engagé à “lutter contre le délit de faciès” dans les contrôles d’identité, grâce à « une procédure respectueuse des citoyens ».
Cet engagement essentiel, à haute portée symbolique, doit nécessairement être mis en oeuvre pour faire face au problème des contrôles au faciès. En effet, l’engagement du Président est intervenu après des années, durant lesquelles des organisations nationales et internationales ont publié de
nombreux rapports mettant en lumière les dérives des contrôles d’identité en France, y compris le contrôle au faciès.
Ces dérives endommagent la relation entre la police et la population, et provoquent le sentiment pour les victimes de ces contrôles d’être considérés comme des citoyens de seconde zone. En outre, dans de nombreux cas, ils sont attentatoires à plusieurs libertés et droits fondamentaux : liberté
d’aller et venir, droit à la sûreté, droit à la protection de la vie privée et à la non-discrimination.
La proposition n° 30 du Président représente un engagement de faire respecter l’état de droit et de rétablir un juste équilibre entre la capacité pour les agents de remplir leurs missions tout en assurant la protection des libertés fondamentales. Il représente aussi un engagement de restaurer la sérénité entre police et population et d’améliorer la sécurité de tous.
La position exprimée par M. Ayrault, dans la ligne de celle exprimée par Manuel Valls dans un discours le 19 septembre, est particulièrement regrettable et inquiétante. Ces prises de position interviennent après un débat public réducteur, focalisant principalement sur les récépissés de
contrôle et véhiculant de fausses idées sur ceux-ci.
Les expériences réalisées dans d’autres pays ont clairement démontré la possibilité à la fois de réduire la prévalence des pratiques discriminatoires et d’améliorer l’efficacité des contrôles de police. Pour réussir, un fort engagement politique ainsi qu’un ensemble de mesures sont
nécessaires.
La délivrance d’un récépissé après un contrôle constitue en effet un élément important d’un dispositif visant à réduire les contrôles au faciès, mais elle ne sera pas suffisante. Une réforme plus globale est nécessaire : réforme de la loi encadrant les contrôles d’identité (article 78-2 du Code de procédure pénale), suivi des contrôles par les superviseurs et cadres policiers, rencontres régulières entre les citoyens/habitants, la police et les élus pour discuter de la pratique des contrôles, formation amenant les agents à réfléchir sur les objectifs des contrôles d’identité et à en user avec discernement.
Au sein d’un tel dispositif, la mise en place des récépissés de contrôle rendra plus transparente la façon dont les contrôles sont effectués, de même qu’elle permettra d’en finir avec la situation anormale qui perdure à ce jour, à savoir l’absence de toute trace matérielle, de tout enregistrement physique des contrôles d’identité. Avec ces documents, conçus pour éviter tout fichage, l’institution policière aura un appui objectif pour démontrer l’absence de discrimination ou de harcèlement dans l’exercice de ses pratiques dans la mesure où lesdits documents pourront confirmer les raisons objectives de chaque contrôle.
Il est anormal que le gouvernement n’ait pas attendu le rapport du Défenseur des droits, et n’ait pas tenu compte de l’avis exprimé par la Commission nationale consultative pour les droits de l’Homme dans son rapport 2011 portant sur « La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie ».
Afin de développer un dispositif approprié, il est essentiel que les divers acteurs — associations, experts, élus locaux, magistrats et avocats, ainsi que le ministère de la Justice — tous concernés, soient consultés et impliqués.
Nos organisations demandent au Président de la République de s’engager à nouveau sur le sujet, et au Premier ministre de reconsidérer d’urgence sa position. Elles appellent le gouvernement à respecter l’engagement n°30 du Président.
Il faut mettre en oeuvre immédiatement une véritable consultation et tirer les leçons des expériences menées à l’étranger afin de développer un dispositif susceptible de faire reculer les contrôles au faciès.
Signataires :
GISTI, Graines de France, Human Rights Watch 87, Ligue des Droits de l’Homme, Maison pour un Développement Solidaire Omer, Open Society Justice Initiative, Syndicat des Avocats de France, Syndicat de la Magistrature
Paris, le 28 septembre 2012
Télécharger le communiqué