Maryse Artiguelong, membre du Comité central de la LDH participait en juillet 2012 à une mission en Palestine de la Plateforme des ONG. Un entretien exclusif
Qu’est-ce que la Plateforme des ONG pour la Palestine ?
La Plateforme des ONG françaises pour la Palestine est une association qui regroupe 41 organisations de solidarité internationale, de développement, de défense des droits de l’Homme et d’éducation populaire qui dès 1994 souhaitaient coordonner leurs actions afin d’accompagner la création d’un Etat palestinien par la promotion des principes d’Autodétermination, de Développement et de Solidarité. Elle milite pour une paix fondée sur la coexistence de deux Etats aux frontières sûres établies sur la base de la situation de 1967, avec Jérusalem pour double capitale. Le CA de la Plateforme, avec l’appui de deux salariés initie des campagnes d’information et de mobilisation auprès du grand public portées par ses membres et il fait pression auprès des autorités publiques (le MAEE, le président de la république, les élus, etc.). Par ailleurs elle soutient les actions de solidarité ou de développement de certains de ses membres c’est pourquoi elle est partenaire de nombreuses ONG israéliennes et palestiniennes.
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Était-ce la première mission de la Plateforme ? Si non, quelles évolutions a-t-elle pu constater ?
Non, ce n’était pas la première mission, des membres du CA en avaient fait une en 2009 et par ailleurs les salariés vont au moins une fois par an rencontrer les ONG partenaires.
Certaines choses semblent évoluer dans le bon sens, par exemple les contrôles aux check-points (notamment celui de Qalandia, passage obligé entre Ramallah et Jérusalem) semblent moins stricts. Les Palestiniens qui ont le « bon permis » ne sont plus obligés de descendre des bus, passer par les portiques, les guichets, les fouilles, et les attentes interminables, ce sont les soldats israéliens qui montent dans les bus pour contrôler… Mais cette amélioration reste aléatoire et les jours de prière ou pendant le ramadan : retour aux contrôles habituels ! Ce qui est très déstabilisant en termes d’organisation quotidienne : on ne sait jamais quand on va arriver.
Nous n’avons pas eu une vue exhaustive des territoires palestiniens occupés (TPO) mais ce que l’on peut dire de Ramallah c’est que la ville semble de plus en plus prospère : les constructions foisonnent, chaque m2 sera bientôt construit : hôtels, restaurants, café internet et centre commerciaux climatisés remplacent terrains vagues ou jardins. Prospérité fictive ?
Selon de nombreux interlocuteurs, l’Autorité palestinienne (AP) est maintenant discréditée auprès de la population. C’est le fruit de sa longue politique de coopération avec Israël qui a été récemment illustrée par le recours à la force contre une manifestation à Ramallah contre la venue de Shaul Mofaz. Elle collabore de plus en plus étroitement avec Israël et ne lutte pas pour la libération nationale. Il semble que la contestation grandit au sein d’une partie de la jeunesse, sans forcément d’attaches avec des formations politiques mais qui échappe au « miracle économique » palestinien. L’AP reste puissante en employant 150 000 fonctionnaires, dont de très nombreuses familles dépendent. Mais par ailleurs sa santé financière est notoirement mauvaise (les salaires des fonctionnaires risquaient de ne pas être payés en juillet), et elle est obligée d’emprunter à des banques privées de plus en plus réticentes (selon les mêmes sources Salam Fayad le 1er ministre, dirait qu’il n’est plus qu’un « collecteur de fonds »).
A Jérusalem-Est la situation continue à se dégrader. Dans la vieille ville, les colons, pour la plupart des religieux ultra-orthodoxes, gagnent de plus en plus de terrain (ou plutôt de logements), acceptant de vivre dans des conditions assez sordides pour harceler les habitants palestiniens, et les obliger à partir. Ils agissent de même à Silwan, Sheikh Jarrah et commencent à investir de nouveaux quartiers comme Beit Hanina jusque là préservé.
Par ailleurs 25.000 maisons (de Palestiniens) et les campements de 3.000 bédouins sont menacés de destruction par les autorités israéliennes.
Mais nous avons constaté que les relations entre les ONG israéliennes et palestiniennes sont de plus en plus ténues, même si elles ont beaucoup de points d’accords. La question du droit au retour est la pierre d’achoppement entre les ONG.
On sait la place de la sécurité dans la politique israélienne. Quelles en sont les conséquences pour le quotidien des habitants ?
Tout d’abord il y a le mur, déclaré illégal depuis 2004 par la CIJ, dont tout le monde connait les conséquences horribles. Mais ça ne suffit pas à « sécuriser » les Israéliens, l’armée continue à maintenir l’ordre dans les territoires et veille notamment à la sécurité des colons. Ainsi 2 000 Palestiniens sont interrogés chaque année par l’armée israélienne, parmi ceux-ci, ceux qui ne collaborent pas avec l’armée israélienne sont envoyés en détention administrative. Elle est utilisée par l’armée quand celle-ci n’a pas assez ou pas du tout d’éléments contre quelqu’un. Il peut arriver qu’un Palestinien soit détenu au secret (sans accès à son avocat) pendant plusieurs dizaines de jours puis soit placé sous le régime de la détention administrative. Ces procédures sont illégales au regard du droit international. Plusieurs ONG nous ont indiqué la coopération de l’A.P. avec l’armée israélienne dans plusieurs cas de détention administrative.
La détention administrative est un véritable élément de pression et répression sur toutes celles et tous ceux qui contestent l’occupation israélienne, membres de la société civile ou de partis politiques. Ne pas savoir de quoi on est accusé, l’absence de procès équitable et de possibilité de recours comme le renouvellement de la détention à la discrétion du juge sont les éléments qui affectent le plus les détenus et leurs proches.
C’est le règne de l’arbitraire.
Avez-vous rencontré des organisations de la société civile, israélienne et palestinienne ? Que disent-elles de la situation ?
Nous avons rencontré de nombreuses ONG israéliennes ou palestiniennes et des personnalités et leur constat est peu optimiste : toutes sont convaincues qu’une solution à deux Etats est maintenant quasi impossible. Nous n’avions pas eu cette impression lors de la dernière mission du CA.
Le constat est qu’Israël contrôle le territoire de la méditerranée jusqu’au Jourdain il a tant investit dans les colonies qu’il ne les abandonnera pas, sauf s’il y avait une forte pression internationale… Il n’y a pas eu de réelle avancée depuis le processus d’Oslo. L’A.P. avec la division Hamas/Fatah se trouve dans une impasse, sans stratégie pour en sortir, elle a laissé passer l’opportunité de la reconnaissance à l’ONU et est discréditée.
Pourtant certains Palestiniens, bien que conscients de l’impasse contestent cette solution : se battre pour leurs droits civiques dans un seul état, Israël, est illusoire compte tenu des réalités (éducation, économie etc.), ils ne seront jamais que des citoyens de seconde zone.
Comment voit-on sur place une issue juste et durable ?
J’aurais tendance à répondre qu’elle semble bien lointaine !
Une issue juste et durable passerait par l’application des revendications « habituelles » : respect des résolutions de l’ONU, respect du droit international (et du droit international humanitaire), destruction du mur, retrait des colonies, mise en œuvre négociée du droit au retour, fin de l’impunité…
Malgré l’obstacle que constitue l’éloignement d’une issue juste, les ONG ne baissent pas les bras.