La LDH présente une comparaison de la victoire à l’élection présidentielle en 1981 et en 2012. Un article de Jean-Pierre Dubois, président d’honneur de la LDH
La gauche recueille comme en 1981, une majorité assez courte : 51,6% en 2012, et 51,8% en 1981 (le raz de marée n’était que dans les têtes de ceux qui fêtaient une alternance attendue depuis si longtemps et qui advenait dans un contexte où la gauche comme espérance avait une grande force psycho-sociologique). Et comme en 1981 la gauche n’est, dans le monde réel, pas majoritaire : c’est l’appoint d’électeurs chiraquiens anti-Giscard qui a mis Mitterrand à l’Elysée, c’est l’appoint d’électeurs FN anti-Sarkozy qui y met aujourd’hui Hollande. Courtes victoires, nées des divisions des adversaires. Répéter l’aveuglement serait répéter de cruelles désillusions. Rien n’est donc joué, sauf le « Dégage ! » qui, en lui-même, est déjà considérable.
« Pas comme en 1981 »… 2012, c’est pire sur certains plans, meilleur sur d’autres.
C’est « pire » en termes d’hégémonie culturelle, car pèsent trente années de défaite idéologique : dix ans après le 21 avril 2002, l’extrême droite à visage découvert a gagné un million d’électeurs de plus. Et l’alignement croissant de Sarkozy sur les idées du FN non seulement ne l’a pas empêché de revenir à plus de 48% dans l’entre-deux-tours mais n’a pas empêché une majorité d’électeurs « Bayrou » de voter pour lui (alors même que Bayrou, pour la première fois depuis 1965, rendait public un vote d’un leader centriste pour le candidat de gauche restant en lice). « Dégage ! », certes, mais de justesse même avec la lepénisation du discours gouvernant. Les idées d’extrême droite sont quasi hégémoniques depuis dix ans : énorme défi, tout particulièrement pour la Ligue des droits de l’Homme.
C’est « meilleur » en termes de contexte idéologique international : en 1981, le néo-libéralisme montait partout (Thatcher, Reagan, etc.) ; en 2012, c’est le rejet de cette idéologie génératrice de catastrophes financières, économiques, sociales, qui monte. Nous ne sommes plus dans une posture défensive/atténuatoire face au libéralisme triomphant mais dans un choc, qui va grandir partout en Europe, entre le modèle « République sociale » (en termes « français ») et le modèle populiste/xénophobe. Le jeu est donc plus ouvert… mais les enjeux sont encore plus lourds. Responsabilité historique…
Que va-t-il se passer ? Rien n’est encore joué…
En 1981, l’arrivée de la gauche à l’Elysée après vingt-trois ans d’opposition a provoqué un tel choc dans l’électorat de droite qu’il s’est massivement abstenu aux législatives de juin : les 37% du PS ne sont pas dus à une progression réelle mais à la démobilisation du camp adverse (moins de suffrages de gauche, en nombre de voix, en 1981 qu’en 1978). Le mode de scrutin (avec 37% des voix, plus de 50% des sièges) a tragiquement accru ce cadeau empoisonné (démobilisateur) générateur d’un énorme malentendu.
Aujourd’hui, aucun électeur de droite ne peut se dire que tout est fichu : le différentiel massif d’abstentions entre droite et gauche ne se reproduira pas. Symétriquement, il n’y a ni « état de grâce » mystique (ce qui ne peut que réjouir démocrates et laïques) ni élan mobilisateur (« changer la vie » est redevenu la formule poétique de Rimbaud) garantissant un « vote de conséquence ». On entend d’ailleurs demander non plus « une majorité pour le Président » (ce qui n’attristera que les monarchistes) mais « une majorité pour le changement »… ce qui signifie clairement que la question du changement reste pleinement posée.
Elle l’est d’autant plus que la greffe anglo-saxonne du bipartisme ne prend toujours pas : l’UMP comme unification de toutes les droites a échoué ; malgré la pression psychologique « post-21 avril » du « vote utile », le PS est, dans la gauche, en position majoritaire mais non hégémonique (43,75% pour la gauche et l’extrême gauche au premier tour, dont 28,63% pour le candidat du PS, ce qui représente 65,44% du total gauche/extrême gauche) ; et les deux « grands partis » (constitués comme tels par le mode de scrutin au second tour de la présidentielle, contrainte institutionnelle qui ne se reproduit pour aucune autre élection) ne totalisent que 55% des suffrages exprimés.
Où en sommes-nous donc ? Un pas énorme a été franchi : « Dégage ! » Et il suffit d’imaginer les conséquences d’une réélection de Sarkozy pour s’en convaincre. C’était, à l’évidence, une condition nécessaire de l’alternance… mais ce n’en est nullement une condition suffisante. Car après avoir choisi entre des hommes-incarnations symboliques (et rejeté un « profil »), reste à choisir entre des politiques (si 55% des électeurs de Sarkozy disent avoir voté « pour », 55% des électeurs de Hollande disent avoir voté « contre »).
Qui gouvernera la France de 2012 à 2017 (au-delà des quelques semaines qui viennent ?) Nul ne le sait avec certitude. Cinq ans de politiques « de droite » ou « de gauche » ? C’est le 17 juin seulement que cette question sera tranchée par le suffrage universel. Le scrutin décisif, c’est en réalité les élections législatives… comme toujours (la gauche n’a pas, dans le passé, gouverné « deux fois sept ans » mais « trois fois cinq ans »). C’est bien pourquoi nos partenaires du Pacte pour les droits et la citoyenneté (et en particulier nos partenaires syndicaux) viennent de nous dire que notre démarche commune est plus que jamais d’actualité… Le moment de vérité reste à venir.
Peser pour une démocratie politique et sociale…
Dans ce contexte de choc à venir, en France comme dans toute l’Europe, entre gauche et extrême droite face à la crise qui va s’amplifier, soit la démocratie deviendra plus réelle, soit la crise l’emportera (soyons attentifs aux signes qui viennent de Grèce mais aussi de Hongrie par exemple). Et pour que la démocratie soit plus réelle (c’est-à-dire qu’elle se déploie dans la société), il faut faire progresser à la fois la citoyenneté et l’égalité.
La citoyenneté : citoyenneté de tous, citoyenneté politique et sociale.
C’est le sens de la revendication du droit de vote de tous les résidents étrangers aux élections locales (l’enjeu est bien plus fort, dans le réel social, que celui de la peine de mort en 1981, car il concerne la représentation démocratique de la société telle qu’elle est aujourd’hui) ;
C’est aussi l’urgente nécessité d’en finir avec le cumul des mandats (c’est-à-dire avec les féodalités confiscatoires, l’accumulation du pouvoir par des « notables » dans leurs « fiefs » : là aussi, prendre la démocratie au sérieux c’est lui donner de l’oxygène) ;
C’est encore la construction de la garantie réelle des droits des citoyens face à l’arbitraire (la « sûreté »…) par une justice enfin pleinement indépendante du pouvoir gouvernant et par une police au service des citoyens et respectueuse de leurs droits.
L’égalité : d’abord face à la crise et à l’antienne des « sacrifices »… qui doit se serrer la ceinture et faire pénitence pour s’être trop gobergé ?
Egalité devant l’impôt (progressivité de l’ensemble des impôts directs, recul de la part des impôts indirects qui frappent d’abord les pauvres) et devant les cotisations sociales (qui ne sont pas des « charges » mais des contributions à proportion des « facultés contributives »).
Egalité entre les territoires (car les inégalités sociales sont de plus en plus fortement territorialisées) : quartiers pauvres des agglomérations, zones rurales et péri-urbaines… Au-delà des causes du vote FN (qui se situent pour une part importante, mais non exclusive, sur ce terrain), c’est la question de l’égalité réelle qui est ici posée de manière brûlante par la terrible fragmentation de ces dernières années (services publics ; effets discriminatoires de la RGPP, emploi militarisé de la police en guise de politique de la ville, etc.).
Egalité entre les générations : le choix des gouvernants, depuis des décennies, a été de faire payer d’abord aux jeunes la crise sociale (chômage, retard d’insertion dans le marché du travail, « déqualification », précarité de 9/10e des emplois créés) ; celui de 2003 et de 2010 a été de faire payer aux (futurs) retraités le défi démographique (la défaite de 2012 est aussi la « note » payée pour le passage en force de 2010, comme celle de 1997 l’avait été pour le « plan Juppé » de 1995).
« La démocratie, ça se construit » :
C’est notre campagne d’automne de 2012… Démocratie politique et sociale, citoyenneté politique et sociale : ce sera l’actualité la plus brûlante, et le terrain qui permettra de poser la question démocratique au cœur de la vie de tous les citoyens (et non plus seulement comme une émission de télé-réalité à l’issue de laquelle les téléspectateurs votent pour éliminer les « mauvais » concurrents). C’est là que se jouera l’avenir de la démocratie en France (quel score pour Marine Le Pen en 2017 ?) et en Europe (les élections européennes de 2014 : éclatement de l’Union européenne ou mutation du projet politique et social européen ?). C’est le cœur de notre mandat.
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