La liberté d’aller et venir entravée pour les habitant.es de Mayotte : le Conseil constitutionnel valide les contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires

Conformément à la Constitution, la République « assure l’égalité devant la loi de tou-te-s les citoyen-ne-s sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Néanmoins, dans le même temps, certaines dispositions constitutionnelles permettent d’adapter les lois dans les territoires ultra-marins afin de tenir compte de « caractéristiques et contraintes particulières ». C’est à ce titre, et au nom de la lutte contre « l’immigration clandestine », que Mayotte est soumise à un régime dérogatoire permettant à la police de procéder à des contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires sur l’ensemble du territoire. En novembre 2021, la préfecture de Mayotte déclarait que les effectifs de la police aux frontières dédiés aux contrôles d’identité avaient augmenté de plus de 50 % en deux ans. Certaines franges de la population sont ainsi soumises à une forme de harcèlement policier visant à faire tourner à plein régime une machine à expulser au mépris des droits fondamentaux des personnes.

C’est dans ce cadre qu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été transmise par une femme qui a fait l’objet d’un contrôle d’identité ayant débouché sur la notification d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et un placement en centre de rétention en mai dernier. Elle a fait valoir l’atteinte portée à sa liberté d’aller et venir. Par un arrêt du 21 septembre 2022, la Cour de cassation a renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.

La question soulevée par la QPC fait écho aux constats que font nos associations présentes à Mayotte :  l’absence de limites spatio-temporelles des contrôles d’identité laisse place aux pleins pouvoirs de la police qui s’adonne à des contrôles d’identité aléatoires et discriminants sans avoir à justifier d’éléments les fondant. Le dispositif en place à Mayotte donne inéluctablement lieu à des pratiques illégales, telles que la mise en œuvre de contrôles au sein des domiciles des personnes, portant gravement atteinte au principe d’inviolabilité du domicile, au droit à la vie privée et à la liberté individuelle des personnes. Ces contrôles échappent à l’examen du juge et les personnes sont privées d’un droit au recours effectif de telle sorte que celles qui en font l’objet se retrouvent véritablement plongées dans des espaces de non-droit.

L’absence d’encadrement légal des dispositions relatives aux contrôles d’identité à Mayotte entrave par ailleurs gravement la liberté de circulation, le droit à la protection de la santé, le principe d’égal accès à l’instruction ainsi que la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire. En effet, l’omniprésence de la police aux abords des écoles, des centres de soins, des locaux associatifs ou de tout autre lieu de service public, tel que les préfectures, a pour effet d’intimider et dissuader les personnes de se déplacer par crainte d’une interpellation. En conséquence, nombreuses sont les personnes qui renoncent à des dispositifs d’accès aux droits ou à des services de première nécessité.

Cette situation renforce par ailleurs la précarité des personnes vulnérables, notamment les enfants. Nos associations alertent depuis plusieurs années sur les modalités de mise en œuvre des contrôles, laissant le champ libre à des pratiques parfaitement arbitraires. Il en est ainsi pour les contrôles d’identité effectués sur des personnes mineures, déclarées arbitrairement majeures sans respect de la présomption de minorité et placées en centre de rétention sans représentant-e légal-e en vue de leur expulsion[1].

Nos associations font le constat de longue date que les droits et libertés fondamentales à Mayotte sont sacrifiés sur l’autel de la politique du tout sécuritaire et répressif. Au même titre que les conditions restrictives d’accès au séjour et à la nationalité, ou la mise à mal du droit au recours effectif pour les personnes frappées par une mesure d’expulsion, les contrôles d’identité font partie intégrante d’un large panel de mesures dérogatoires faisant de Mayotte un véritable territoire d’exception, ce qui contrevient au principe de non-discrimination. Il nous semble pourtant que l’amélioration collective du vivre-ensemble ne peut passer par la restriction des libertés individuelles. La décision du Conseil constitutionnel du 25 novembre dernier vient confirmer que l’accent mis sur la lutte contre l’immigration irrégulière détourne les regards de l’urgence qu’il y a à garantir aux habitant-e-s de Mayotte des droits équivalents au reste du territoire. Que signifie le « territoire de Mayotte », alors qu’il n’est qu’un territoire, celui de la République, une et indivisible ? Nos associations demandent donc que soient garanties au sein de ce territoire les mêmes droits et libertés pour toutes et tous.

[1] Décision 2022-206 Défenseure des droits, 14 octobre 2022 relative à l’enfermement des enfants en rétention à Mayotte

Liste des associations du collectif  Mom:

Gisti, Association pour le droit des étrangers (ADDE), Fasti, Médecins du monde, Caritas, Comede, La Cimade, LDH (Ligue des droits de l’Homme), Mrap, Aides, Elena, Syndicat des avocats de France (Saf), Sud Education.

Paris, le 29 novembre 2022

Communiqués de la LDH

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