La stratégie du Guépard ou le « nouveau » F.N.

« Dans l’hypothèse où Marine Le Pen réussirait son pari, nous aurions une extrême-droite national-populiste débarrassée des « oripeaux du passé », avec une jeune génération sans passé compromettant. Il lui faudra alors déterminer une stratégie. Les faits semblent donner raison à cette hypothèse. Pourquoi le FN aurait-il régressé ? Toutes les conditions sont remplies pour qu’une extrême droite nationale – populiste prospère en France…

«  Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change ».

« Dans l’hypothèse où Marine Le Pen réussirait son pari, nous aurions une extrême-droite national-populiste débarrassée des « oripeaux du passé », avec une jeune génération sans passé compromettant. Il lui faudra alors déterminer une stratégie. Tout en se donnant l’apparence de crédibilité politique, le FN devra « radicaliser » son discours afin de retrouver un électorat, son électorat. [1]. Les faits semblent donner raison à cette hypothèse deux ans après. Pourquoi le FN aurait-il régressé ? Toutes les conditions sont remplies pour qu’une extrême droite nationale – populiste prospère en France…

C’est sur un fond de décor social dégradé qu’on peut essayer d’analyser ce qui s’est produit au congrès de Tours en 2011. En quittant la présidence du FN, J.M. Le Pen a tourné une page de l’histoire du FN. On peut même dire que c’est une nouvelle histoire qui commence. Deux lignes sont clairement apparues dans ce congrès nous replongeant dans l’histoire des extrêmes–droites. Il est nécessaire d’opérer un « retour en arrière afin d’éclairer le présent, tant il est vrai que l’histoire est une maladie dont on ne guérit jamais tout à fait ». [2] On a pu observer l’opposition entre une droite contre-révolutionnaire et la nouvelle droite de Marine Le Pen sur une ligne qu’on pourrait qualifier de « nationale-républicaine », voire de populiste et bonapartiste.
S’il y a incontestablement un changement de style, qui renvoie à une histoire différente de celle dont se réclame B. Gollnish, il ne constitue pas une opposition entre « durs » et « modérés ». Marine Le Pen continue de jouer sur le registre du parti « anti-Système ». Forte de sa légitimité liée à son nom mais aussi des résultats obtenus à Hénin-Beaumont, appuyée par 89 conseillers régionaux sur 118 et 69 secrétaires départementaux (sur 98), Marine Le Pen a remporté facilement la présidence du FN et entend désormais imposer un nouveau cours au FN, renouvelant les cadres, modifiant le discours et adoptant une nouvelle stratégie de « dédiabolisation ».

La nouvelle garde rapprochée de Mme Le Pen

Elle s’appuie pour ce faire sur une nouvelle génération d’adhérents et de responsables, mettant plus en valeurs leurs diplômes et leurs fonctions qu’un engagement politique dans des formations « nationalistes ». C’est le cas de Jean-Richard Sulzer qui fut autrefois le collaborateur de J. P. Soisson, ex-militant UMP et professeur à Dauphine, de David Mascré présenté comme docteur en mathématique et en philosophie, spécialiste de géopolitique et « expert sur les menaces criminelles  ». Peu connu, il intervient cependant régulièrement au sein des réseaux catholiques traditionnalistes, lors des universités du Centre Charlier ou de l’AGRIF, écrivant dans la revue royaliste « la nouvelle Revue Universelle ». [3] De Laurent Ozon, éphémère membre du bureau politique [4], venu de la mouvance « nouvelle droite », proche du GRECE [5], et des écologistes indépendants, notamment Antoine Waechter, directeur de la revue « le recours aux forêts. Il organisa en 1999 un collectif « non à la guerre » protestant contre les bombardements sur la Serbie [6]

Plusieurs hauts fonctionnaires auraient travaillé sur le programme du FN. Le discours aux accents souverainistes semble avoir séduit également quelques anciens « chevènementistes » comme B. Dutheil de la Rochère, Paul Marie Couteaux [7] ou Florian Philippot. On pourrait également citer l’avocat Gilbert Collard, qui n’en est pas à sa première conversion. Mais le fait est que le FN n’a pas attiré à lui de nombreux hauts fonctionnaires, formés à l’ENA ou dans de grandes écoles. La scission de 1998 avec les Mégretistes continue de laisser des traces.

La forme ou le fond ?

Marine Le Pen n’est pas une théoricienne, comme son père d’ailleurs, à la différence d’un Bruno Mégret, formé au club de l’Horloge. Elle revendique désormais une identité de vue avec les « partis patriotes » selon son expression qui prônent une «  identité et la défense de leur culture » menacées par l’immigration et l’islamisation. Elle relève des convergences avec le Vlams Belang, parti d’extrême droite flamand, l’UDC suisse ou le Parti suédois. Elle dénonce « l’idéologie totalitaire du mondialisme », le « diktat de la loi du marché », des agences de notation ». Contrairement à ce qui a pu se dire ici et là, Marine Le Pen n’est pas allée emprunter à l’ancienne « nouvelle droite » le « différentialisme culturel » [8]. S’il puise dans les thèses du GRECE, aujourd’hui marginal, c’est plutôt dans le discours développé par celui-ci après les années 2005/2006. Alain de Benoist prône depuis plusieurs années une politique de décroissance [9], en rupture avec la société marchande, dénonçant la culture de masse et déclarant les Etats Unis comme l’ennemi principal [10].

Aujourd’hui le FN se positionne en rupture avec la mondialisation, prône un repli national et la sortie de l’Euro, la « relocalisation de la production », avec protectionnisme à la clé, et rétablissant les droits de douane. Il n’y a pas ici de rupture radicale entre ce qui serait un nouveau discours du FN et ses prises de position du passé. Le FN est progressivement passé d’un discours plutôt libéral et pro-atlantiste, surtout par anti-communisme, au début des années 1980 s’inspirant de la « révolution conservatrice américaine » de Ronald Reagan, [11] à un discours beaucoup plus anticapitaliste dans les années 1990, condamnant le « libre échangisme mondial » (cf. « 300 mesures pour la renaissance de la France – programme de gouvernement .1993). Deux raisons peuvent expliquer ce revirement qui s’est traduit en 1995 par une ligne « ni droite, ni gauche », vieille rhétorique de la droite radicale française des années trente : l’évolution sociologique de son électorat beaucoup plus populaire et surtout la prise en main au sein du FN de l’appareil idéologique, notamment son centre d’argumentaires et sa revue Identité, par l’équipe de Bruno Mégret formée au GRECE et au Club de l’Horloge. En 1997, Bruno Mégret, alors délégué général du FN proposait une « troisième voie » en alternative au socialisme et au libéralisme. La scission de 1998 n’a pas entamé cette ligne. Le programme de 2001 appelait à « produire français » proposant de « défendre le marché national par un protectionnisme raisonné ». [12] En 2008, Le Pen publiait un communiqué en pleine crise financière condamnant cette « Europe qui ne sert à rien dans cette crise, l’Etat national demeurant le recours indispensable » [13]

Au clivage gauche/droite, le Front national substitue une ligne de fracture entre les nationaux et les partisans de la mondialisation. J.M. Le Pen revendiquait son appartenance à la « droite nationale », se proclamant porte-parole de la « droite nationale, sociale et populaire ». Désormais, le FN se présente comme «  l’opposition nationale, sociale et populaire ». Le terme de droite a disparu et ce n’est pas une simple clause de style. Le Front national entend désormais devenir un « parti central », seul à se positionner contre la « domination de l’argent roi » [14] Emmanuel Leroy, un des conseillers « occultes » de Marine Le Pen est un des théoriciens de cette ligne qui se veut en rupture avec le « Système » défendu par l’UMP et le PS, proposant une logique de « troisième voie », celle du solidarisme qui réussit la « synthèse entre le national et le social ». La doctrine solidariste qui se voulait « révolutionnaire », « anti-impérialiste », « anti-marxiste », rappele la démarche du Front noir d’Otto Strasser ou du « national-bolchevisme » d’Ernst Niekisch dans l’Allemagne de Weimar [15]

Quelle stratégie ?

Se posant comme alternative au système, le FN ne souhaite pas, comme au début des années 1980, passer des alliances avec la droite, mais bien transformer le FN en un « bloc national », un pôle de rassemblement à vocation majoritaire (Louis Aliot) autours de deux axes jugés non négociables : l’Europe des nations et la préférence nationale. Depuis, le FN préfère parler de « priorité nationale », qui était en en réalité le vocabulaire utilisé systématiquement avant l’arrivée de Jean-Yves Le Gallou en 1985, auteur de la « Préférence nationale », ouvrage réalisé au sein du Club de l’Horloge. Ce changement vocabulaire ne doit pas faire oublier que la question de l’immigration reste centrale pour le FN : « nous ne voulons pas un immigré de plus. Nous voulons inverser les flux migratoires, c’est une course contre la montre, dans 50 ans, le sort de la France européenne sera scellé. Il ne suffit pas de lutter contre l’immigration. Il faut une politique nataliste dynamique », déclarait Louis Aliot le 2 mai 2011 (Front national : Louis Aliot rappelle les fondamentaux de son parti à l’ouverture pour les prochaines élections – Novopress. 26 mai 2011)

Au plan politique, l’ennemi principal n’est plus la gauche mais bien l’UMP. «  Un 21 avril à l’envers, avec Nicolas Sarkozy en troisième position, signifierait inéluctablement l’implosion de l’UMP et la recomposition sur nos thèmes », écrit Emmanuel Leroy, « d’une véritable force alternative au totalitarisme mondialiste… » [16]. Car Marine Le Pen ne souhaite pas diriger un parti protestataire mais bel et bien exercer le pouvoir. Cela nécessite une transformation de son organisation : « Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change selon la formule tirée du « Guépard » de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. On peut dès lors prendre le pari que le Front national changera de nom dans un futur proche, Marine Le Pen n’étant plus tenue par « l’armure rigide des solidarités du passé » comme l’évoquait son père dans un entretien à l’Action française [17]. Tout en ne voulant pas créer de dissensions avec son père, « mes positions ne sont pas franchement différentes de celles de mon père (en matière d’immigration) » déclare-t-elle au Point [18] :, elle s’en démarque cependant en déclarant :« Tout le monde sait ce qui s’est passé dans les camps et dans quelles conditions. Ce qui s’y est passé est le summum de la barbarie ». De façon habile, Marine Le Pen ne prend pas position sur les « négationnistes » ou se dit « agacée » par ceux qui font preuve d’ambiguïtés sur la Shoah (question du journaliste). Elle ne se prononce pas sur l’existence des chambres à gaz et la réalité du génocide des Juifs en Europe. Elle parle des camps en général, englobant camps de concentration et d’extermination. Elle ne condamne ni ne prend position sur les « négationnistes » à qui son père reconnaissait une prétendue qualité d’historiens. Cette question est centrale car elle permet au FN d’être accepté ou non dans l’arc républicain et démocratique français. Etre reconnu comme un parti comme les « autres » mais différent des autres, tel est l’objectif de Marine Le Pen et nécessite de faire sauter ce verrou lié à l’histoire de la seconde guerre mondiale. Le changement de vocabulaire sur l’immigration peut y aider. En désignant l’Islam comme « ennemi principal », le FN peut s’attirer une partie des voix de la communauté juive et surtout être agréée par l’Etat israélien. Un premier pas a été fait grâce à Israël Magazine en mai 2011 qui fit de Marine Le Pen sa couverture. La rencontre avec le représentant de l’Etat d’Israël aux Nations unies à New York est une deuxième avancée même si ce dernier, maladroitement, tenta d’expliquer qu’il y avait eu méprise. Cette rencontre fut en réalité le seul point positif du déplacement de Marine Le Pen qui cherche aussi à se donner une crédibilité internationale.

Aujourd’hui Marine Le Pen a atteint son premier objectif. Elle est devenue incontournable dans l’élection présidentielle de 2012. Les études d’opinion la situait dans une fourchette entre 16 et 20% . Elle a réussi à trouver les 500 signatures d’élus, mais avec difficultés. C’est une illustration du faible enracinement local de son parti. En moins de 40 ans, le FN a été dans l’incapacité de constituer ne serait-ce que l’amorce d’un réseau d’élus locaux, alors même qu’il a été présent dans les conseils régionaux depuis 1986, occupant même des responsabilités grâce aux alliances passées avec la droite en 1986 et 1998, notamment en région PACA et Languedoc Roussillon. Il ne peut compter, lors de la recherche de signatures pour l’élection présidentielle, que sur son réservoir de conseillers régionaux (plus d’une centaine). Des quatre municipalités conquises en 1995 (Toulon, Orange, Marignane) et 1997 (Vitrolles) le FN n’en a conservé aucune. J.M. Le Pen a toujours considéré qu’un « militant qui s’engage dans l’action locale, est perdu. Totalement perdu. Et le Maire et le conseil municipal aussi » [19]. Malgré tout, il continue de peser électoralement. On pensait le FN marginalisé grâce à N. Sarkozy. Avec 10,4% le 22 avril 2007, puis 4,3% aux législatives et 6,3% aux Européennes de 2009, le Front national réalisait ses plus mauvais scores. Quatre ans après, le FN semble non seulement avoir retrouvé son capital électoral, mais ce dernier constitue désormais un socle sur lequel il peut progresser. 94% des électeurs de 2007 prêts à revoter Marine Le Pen, mais aussi 17% des électeurs de Besancenot, 6% de Ségolène Royal et 16% de Sarkozy (Cf. Pascal Perrineau [20]).
Le FN fut présent dans 403 cantons au second tour après avoir obtenu 15,56% au premier tour (19,4% sur les 1440 cantons). Louis Aliot pronostiquait entre 10 et 50 élus mais le FN n’eut que 2 élus à Carpentras-Nord et à Brignoles 50,03, (l’élection ayant été invalidée depuis) [21] . Le FN gagne 300 000 voix entre les 2 tours soit plus de 47% et retrouve sa carte électorale, obtenant ses meilleurs scores départementaux en région P.A.C.A. Le vote FN épouse les contours de la « la France qui va mal ». Désormais 43% des ouvriers se disent prêts à voter Marine Le Pen (IFOP du 19 au 21 juillet 2011). Mais ce poids électoral n’est rien à côté de son influence idéologique. Nicolas Sarkozy porte de ce point de vue une lourde responsabilité.
Analysant les résultats au lendemain du premier tour d’avril 2002, Nicolas SARKOZY déclarait y voir la « traduction d’un immense sentiment d’exaspération du peuple » [22]. Toute sa stratégie fut de répondre à cette demande, reprenant à son compte le thème de « l’identité nationale », l’associant à l’immigration. La proposition de création d’un « ministère de l’immigration et de l’identité nationale », proposition suivie d’effet, engagement de campagne de Jean-Marie Le Pen en 1995, reçut l’approbation de 65% des sondés dont 88% de sympathisants d’extrême-droite mais aussi de 31% de sympathisants du PS [23] . En 2010, il lie les problèmes d’insécurité à ceux de l’immigration lors de son fameux discours de Grenoble. Depuis, son ministre de l’Intérieur multiplie les déclarations sur les immigrés, déclarations considérées par Marine le Pen comme une « grande victoire idéologique », car, dit-elle, « c’est lui et son patron qui sont en charge du dossier depuis 10 ans » [24] . Désormais les rôles sont inversés. Ce n’est plus l’électorat du FN qui va vers N. Sarkozy, c’est celui de l’UMP qui se trouve séduit par le discours de Marine Le Pen. Marine Le Pen est aujourd’hui en « symbiose avec la crispation anti immigrés d’une partie de l’électorat de droite ». Il y a une vraie proximité politique entre le FN et une partie de l’UMP » estimait Nonna Mayer, directrice de recherches au Centre d’études européennes de Sciences Po [25].

Philippe LAMY
Doctorant en sciences politiques Paris VIII

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