Tribune collective signée par Patrick Baudouin, président de la LDH, et publiée sur Le Monde
La condamnation sans nuance des actions dites de désobéissance civile à laquelle nous assistons depuis quelques semaines procède d’une indignation en partie jouée et comme souvent sélective. Portée par un spectre politique qui va de la majorité gouvernementale jusqu’à l’extrême-droite, elle se présente en garant d’un ordre social figé. Pour autant, ces réactions révèlent aussi une incompréhension, plus ou moins forte, parfois sincère, des enjeux actuels de la lutte contre les changements climatiques et pour la préservation des écosystèmes.
Il y a urgence à s’abstraire des outrances, de celles qu’affectionne notamment le ministre de l’Intérieur, dont la préoccupation principale semble de cliver toujours plus dangereusement. La fabrication d’un nouveau vocable disqualifiant, « l’écoterrorisme » est à cet égard, éclairante. Un tel terme aurait pu naître comme d’autres avant lui dans les médias d’extrême-droite, mais c’est un membre du Gouvernement qui s’y est essayé, accolant le spectre du terrorisme – dont il n’est nul besoin de souligner la peur qu’il entraîne par nature – aux mobilisations écologiques.
Les nouvelles générations engagées pour le climat, jeunes ou moins jeunes, mais aussi les scientifiques font face depuis des années à l’attentisme et aux postures invocatoires des responsables politiques sur les enjeux écologiques. Ces expressions citoyennes diverses se sont organisées pour faire reconnaître par la justice l’inaction climatique de la France et y sont parvenues notamment avec l’Affaire du siècle. Elles ont constaté l’instrumentalisation dont la Convention citoyenne pour le climat a fait l’objet. Cet objet novateur mais fragile du fait de son absence d’existence constitutionnelle ou d’assise démocratique a en effet vu ses conclusions dévoyées sitôt rendues. Au lieu de voir tirées les leçons de la pandémie sur la nécessité de concevoir l’être humain imbriqué dans la biosphère, nous assistons à la relégation de l’équilibre des écosystèmes bien loin derrière les impératifs économiques productivistes organisant la captation de ressources qui devraient être protégées comme autant de biens communs : les sols, l’eau, l’air, les semences, etc.
Décrochages de portraits présidentiels, occupation ponctuelle de lieux de passage, peinturlurages bon enfant… Dans l’immense majorité des cas, la désobéissance civile passe par des actions pacifiques et vise à dénoncer l’absence ou l’insuffisance de règlementation pour faire face aux obligations internationales de l’État en matière environnementale, ou de leur non-mise en œuvre quand cette règlementation existe. Ces actions ne sont souvent que des transgressions de normes symboliques pour attirer l’attention du public, rappeler l’urgence des enjeux, mettre les autorités face à leurs responsabilités.
Il faut malheureusement constater que les pouvoirs publics s’acharnent à criminaliser ces actions de désobéissance civile. Cela intervient dans un contexte où des moyens publics sont déjà mobilisés pour empêcher les défenseurs de l’environnement de s’exprimer : défense de manifester ou perturbation de l’exercice du droit de manifester par les forces de l’ordre qui devraient au contraire le garantir, répression systématique de certaines actions ou mouvements, assignations à résidence ou perquisitions abusives.
Le caractère protestataire et le lien direct qu’entretiennent ces actions avec la liberté d’expression devraient être reconnus comme tels. Face aux nécessités renouvelées de la liberté d’informer dans un contexte d’urgence climatique, ces défenseurs de l’environnement devraient être protégés. Or, les autorités cherchent systématiquement à les poursuivre.
La création d’un nouveau délit a ainsi fait directement suite à une action de protestation contre l’extension de l’aéroport de Roissy, abandonnée ensuite, notamment au vu des enjeux climatiques. Des projets de textes législatifs, restant pour certains en discussion, veulent généraliser la répression des actions perturbant des activités économiques, les assimilant à des atteintes à des libertés fondamentales. Il y a danger à faire toujours primer la liberté d’entreprendre sur les libertés publiques (d’expression, de réunion et donc de manifestation) et à confondre dans la répression des actions revendicatives non-violentes (qui peuvent certes occasionner des formes de blocage) avec des violences graves contre les personnes ou des destructions de biens. C’est notamment le cas pour des actions visant à documenter des pratiques contraires à la règlementation dans des abattoirs, réduites à des « intrusions » alors qu’elles contribuent de manière indéniable à l’information du public.
La criminalisation des associations mobilisées, la remise en cause de leur capacité à faire appel à la générosité du public, les menace évidemment de paralysie dans leur fonctionnement. De manière générale, les pouvoirs publics peuvent désormais recourir – et certains ne s’en privent pas – aux dispositions de la loi dite « séparatisme » du 24 août 2021 pour entraver la liberté d’association. Invoquant le motif que les actions de désobéissance civile seraient contraires aux valeurs républicaines définies dans ce même texte, les pouvoirs publics expriment clairement leurs velléités d’interdiction de manifestations, de retrait de subventions publiques, voire de dissolutions d’associations.
L’assimilation des actions de désobéissance civile à des comportements délictueux ou déviants n’a donc pas attendu les affrontements dans les Deux-Sèvres sur le système des bassines ou les jets de substance sur les vitrines de tableaux dans les musées. Passés les premiers anathèmes sur la violence ou le vandalisme poussés à l’envi dans les médias, processus dont les plus sérieux devraient apprendre à mieux se défier, l’analyse ramène à la responsabilité des pouvoirs publics, y compris du fait d’une doctrine du maintien de l’ordre physiquement dangereuse, politiquement clivante et contraire aux engagements internationaux de la France. Les débordements qui peuvent accompagner une mobilisation ne changent pas sa nature revendicative et ne devraient en aucun cas servir de prétexte à la discréditer.
D’où une question, plus que jamais urgente, pressante : existe-t-il un cadre de débat démocratique où les points de vue sur les bouleversements environnementaux et leurs conséquences sur les écosystèmes peuvent s’exprimer de manière contradictoire sans que soit privilégiée dès le départ la rentabilité économique et notamment celle de l’agriculture intensive ? Quels sont les lieux de concertation sur l’usage des biens communs où les intérêts particuliers pourraient être évalués à l’aune de l’intérêt général des générations futures ?
Plutôt que de se raidir en prétextant d’hypothétiques dangers pour les principes républicains, au lieu de s’arc-bouter trop souvent sur des règlementations protectrices avant tout d’importants intérêts privés, les responsables politiques devraient se souvenir qu’ils ont en charge l’intérêt général. Las, prenant l’exact contrepied des efforts pour le mettre au jour, les autorités mettent en scène un mouvement d’opposition aux bassines ayant versé dans l’illégalité pour accélérer, dans les Deux-Sèvres et ailleurs, le développement de ces infrastructures. Ainsi, dans la Vienne, un nouveau protocole a été établi sans attendre les résultats d’une étude sur les conséquences de ces retenues d’eau pour les milieux et contre l’avis y compris de la chambre d’agriculture.
La logique d’affrontement l’emporte ici sur la culture de la démocratie. Confrontés à des revendications liées à une urgence écologique que tout un chacun constate, les pouvoirs publics tant locaux que nationaux doivent contribuer à un nécessaire apaisement et créer des espaces de participation démocratique, combinés aux instances représentatives et permettant l’émergence de communs pour la gestion partagée et à long terme de l’eau, des sols, etc. Il nous appartient, il leur appartient d’inventer un horizon collectif pour l’avenir, de répondre et de dialoguer avec les nouvelles générations qui s’insurgent contre la destruction des écosystèmes et l’inégal accès aux biens communs.
La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1793 porte en son article 28 un précepte remarquable, qui montre l’actualité de l’impulsion républicaine, aux antipodes d’un ordre bardé de règles et de principes figés : « Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. » Première leçon à l’usage des pouvoirs publics comme à ceux des citoyennes et des citoyens : soyons au rendez-vous des générations futures et ne faisons pas des lois sans avenir ! Afin de restaurer la confiance dans les institutions, engageons la refondation démocratique des communs pour plus de justice sociale, économique et climatique.
Premiers signataires :
Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)
Christophe Bonneuil, directeur de recherches au CNRS
Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre France
Liora Israël, sociologue, directrice d’études à l’EHESS
Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace
Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement
Isabelle Stengers, philosophe
Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous
Emma Tosini, porte-parole d’Alternatiba
Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac France
Autres signataires :
Fanette Bardin, co-présidente de Démocratie Ouverte
Michel Bourguet, animateur du réseau Transition Ecologique du Mouvement pour une alternative non-violente (Man)
Luc De Ronne, Président de ActionAid France – Peuples Solidaires
Jean-Baptiste Fressoz, historien, chercheur au CNRS
Karl Ghazi, co-président de la Fondation Copernic
Priscillia Ludosky, co-initiatrice du mouvement des gilets jaunes
Arthur Moraglia, co-présidente de Démocratie Ouverte
Elodie Nace, porte-parole d’ANV-COP21
Jacques Testart, président d’honneur de l’association Sciences Citoyennes
Pauline Véron, co-présidente de Démocratie Ouverte
Marie Pierre Vieu, co-présidente de la Fondation Copernic