Des ONG à Biden : soutenez l’accès à la justice pour tous en abrogeant un décret entravant le travail de la CPI

Lettre ouverte au président des Etats-Unis, signée par la FIDH et 56 organisations membres dont la LDH

Monsieur le Président,

La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), et les 56 organisations membres soussignées de toutes les régions du monde, sont toutes profondément engagées dans la mise en œuvre des droits humains les plus fondamentaux pour tous. Afin de garantir le respect des droits humains, nous avons toujours été de fervents partisans de l’obligation d’établissement des responsabilités pour les crimes internationaux les plus graves et continuons de soutenir les victimes de ces crimes à obtenir vérité, justice et réparation. Depuis des décennies, nous soutenons la mise en place de mécanismes indépendants de redevabilité, y compris la Cour pénale internationale (CPI), et nous en facilitons l’accès, en nous efforçant de concrétiser le message souvent évoqué mais trop rarement mis en pratique selon lequel personne n’est au-dessus des lois.

Aujourd’huinous demandons à votre administration de démontrer votre engagement en faveur des droits humains et votre alignement sur l’ordre juridique international en abrogeant totalement, avec effet immédiat, le décret 13928 de votre prédécesseur, “Blocage des biens de certaines personnes associées à la Cour pénale internationale“, qui entrave directement les efforts de justice internationale devant la CPI, et menace les efforts internationaux en matière de lutte contre l’impunité pour les crimes les plus graves qui concernent la communauté internationale dans son ensemble. Le décret, adopté le 11 juin 2020, qui autorise des sanctions contre certaines personnes exerçant des activités devant un organe judiciaire indépendant – la CPI – ainsi que des sanctions civiles et pénales contre ceux qui apportent un soutien aux personnes désignées, est une attaque directe contre l’État de droit. Nous estimons que le maintien en vigueur du décret 13928 continuerait d’entacher gravement l’image des États-Unis et remettrait en question leur engagement déclaré en faveur des droits humains, de l’État de droit et de l’ordre juridique international.

La CPI continue d’ancrer la lutte contre l’impunité au niveau international, et est un agent clé pour faire en sorte que les plus hauts responsables de crimes internationaux rendent des comptes devant une justice impartiale et indépendante, avec des garanties de procès équitable. Depuis sa création, notre Fédération et un grand nombre de ses organisations membres se sont tournées vers la CPI en tant que juridiction de dernier ressort, et lui ont fait entendre la voix de milliers de victimes qui demandent justice et réparation. Après avoir perdu des batailles acharnées pour obtenir justice devant des juridictions nationales manquant de volonté et de capacité, les victimes ont pu se tourner vers la CPI en tant que dernier recours pour obtenir justice. La Cour – habilitée et légitimée par ses 123 États parties – a offert la possibilité de justice face à des dictatures, des situations d’impunité bien ancrées, des conflits et des crises en cours, et contre la domination politique.

L’attaque de l’administration Trump contre la CPI, son travail, son personnel et la société civile qui soutient sa mission est l’un des nombreux exemples de son mépris du multilatéralisme et de ses obligations internationales en matière de protection et de mise en œuvre des droits humains fondamentaux, notamment l’égalité d’accès à la justice et la réparation pour les victimes des crimes les plus graves. La campagne agressive de l’administration Trump contre la CPI s’est intensifiée au cours de l’année dernière suite aux développements à la Cour concernant les situations de l’Afghanistan et de la Palestine. Cela constitue une attaque sans précédent contre le travail de la CPI et plus largement contre la lutte contre l’impunité, envoyant un signal d’encouragement aux régimes autoritaires et aux autres auteurs de crimes internationaux qui cherchent à échapper à la justice. Nous vous demandons de rejeter cette attaque contre l’État de droit et le système de justice sélective qu’il reflète de facto.

Par l’adoption du décret 13928 du 11 juin 2020, qui visait à punir la CPI et à entraver son fonctionnement même, et par la mise en place subséquente, le 2 septembre 2020, de sanctions à l’encontre de la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, et du chef de la Division de la compétence, de la complémentarité et de la coopération de la Cour, Phakiso Mochochoko, l’administration Trump a considérablement entravé le travail de la Cour et a empêché encore davantage les défenseurs des droits humains de mener à bien leur mission. La sanction d’acteurs clés de la CPI et la menace de sanctions pénales contre tous ceux qui les “aident matériellement” ou les “soutiennent”, ont rendu tout engagement avec le Bureau du Procureur de la CPI difficile, voire impossible, ce qui a compromis sa capacité à enquêter et à poursuivre les responsables des crimes les plus graves. Cette obstruction à la justice par l’administration Trump constitue une attaque frontale contre l’indépendance des juges, des procureurs et des avocats, et doit être révoquée immédiatement.

Bien que la CPI puisse encore être améliorée, la Cour est une institution unique et essentielle qui a le potentiel de rendre justice à des milliers de victimes qui ne peuvent obtenir une justice effective au niveau national. Nous vous demandons instamment, ainsi qu’à votre administration, de reconnaître le rôle central de la Cour pénale internationale dans la lutte mondiale contre l’impunité, d’abroger le décret anticonstitutionnel de juin 2020 contre la CPI et de révoquer les sanctions qui s’y rapportent. Plus généralement, nous demandons à votre administration d’adopter et de mettre en œuvre un programme solidement fondé sur les droits, tant au niveau national qu’international.

Signatures : FIDH – Fédération internationale pour les droits humains (Global); Acción Ecológica (Équateur); Albanian Human Rights Group AHRG (Albanie); Al-Haq (Palestine); Al Mezan Center for Human Rights (Palestine); ALTSEAN-Burma (Myanmar); Armanshahr | OPEN ASIA (Afghanistan/ Iran); Association Marocaine des Droits Humains (Maroc); Association Rwandaise pour la Défense des Droits et de la Personne (Rwanda); Association Tunisienne des Femmes Démocrates (Tunisie); Bir Duino (Kyrgyzstan); CAJAR – Colectivo de Abogados José Alvear Restrepo (Colombie); CCR – Center for Constitutional Rights (États-Unis d’Amérique); CDHES – Comisión de Derechos Humanos de El Salvador (Le Salvador); CEDAL – Centro de Derechos y Desarrollo (Pérou); CENIDH – Centro Nicaraguense de Derechos Humanos (Nicaragua); Center for Civil Liberties (Ukraine); Centro de Capacitación Social de Panamá (Panama); CHRI – Commonwealth Human Rights Initiative (Inde); Citizens’ Watch (Russie); Civic Committee for Human Rights (Croatie); Civil Society Institute CSI (Armenie); CJA – Center for Justice and Accountability (États-Unis d’Amérique); COFADEH – Comité de Familiares de Detenidos-Desaparecidos en Honduras (Honduras); Comisión Mexicana de Defensa y Promoción de los Derechos Humanos (Mexique); Damascus Center for Human Rights Studies (Syrie); DITSHWANELO – The Botswana Centre for Human Rights (Botswana); Finnish league for human rights (Finlande); Human Rights Center (Georgie); Human Rights Center “Viasna” (Biélorussie); Human rights foundation (Turquie); IHD – Insan Haklari Dernegi / Ankara (Turquie); INREDH – Fundación Regional de Asesoría en Derechos Humanos (Équateur); Internationale liga für menschenrechte (Allemagne); Justiça Global (Brésil); Kazakhstan International Bureau for Human Rights (Kazakhstan); Rule of Law International Legal Initiative (ILI Foundation) (Kazakhstan); Latvian human rights committee (Lettonie); Lega italiana dirriti dell’Uoma (Italie); Legal and human rights centre (Tanzanie); Legal Clinic Adilet (Kyrgyzstan); Liga voor de rechten van mens (Pays-Bas); Ligue des droits de l’Homme (France); Ligue djiboutienne des droits humains (Djibouti); LIMEDDH AC – Liga Mexicana por la Defensa de los Derechos Humanos (Mexique); Maldivian Democracy Network (Maldives); MIDH – Mouvement Ivoirien des droits humains (Côte d’Ivoire); MNDH – Movimento Nacional de Direitos Humanos (Brésil);  Mouvement Lao pour les droits de l’Homme (Laos); Norwegian Helsinki Committee (Norvège); Odhikar (Bangladesh); Organisation de défense des droits de l’Homme et du citoyen de la Guinée (Guinée); Palestinian Centre for Human Rights (Palestine); PHROC – Palestinian Human Rights Organisations Council (Liban); Portuguese league for human rights – Civitas (Portugal); Promo Lex (Moldavie); PROVEA – Programa Venezolano de Eduación – Acción en Derechos Humanos (Venezuela); RNDDH – Réseau national de défense des droits humains (Haiti)

Depuis 1922, la FIDH s’emploie à défendre et à faire respecter tous les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. La Fédération agit aux niveaux national, régional et international en soutien à ses organisations membres et partenaires pour lutter contre les violations des droits humains et consolider les processus démocratiques.

Paris, le 28 janvier 2021

Communiqués de la LDH

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