Pour le juge des référés du TA de Lille, 4 km à pied pour manger, ça n’use pas les souliers

Communiqué dont la LDH est signataire

Par une ordonnance du 22 septembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté la requête introduite par 12 associations locales et nationales visant à faire annuler l’arrêté du 10 septembre 2020 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a interdit toute distribution gratuite de boissons et denrées alimentaires en certains lieux du centre-ville de la commune de Calais.

Le juge a énoncé que les distributions mises en places par l’Etat suffisaient prétendument à couvrir les besoins de l’ensemble des personnes exilées présentes à Calais, y compris pour celles qui dorment en centre-ville, en considérant que « la circonstance que pour y accéder, les migrants installés en centre-ville depuis début août doivent parcourir trois kilomètres n’est pas de nature à caractériser des conditions de vie indignes. »

Cette appréciation est particulièrement contestable. En effet, les indicateurs humanitaires élaborés soit par le HCR, soit dans le cadre du projet Sphere, précisent par exemple, au sujet de l’eau potable, que celle-ci doit être accessible à moins de 500 mètres des lieux de vie des personnes – les distances en cause étant en l’espèce situées entre 4 et 5 kilomètres, ce qui représente une heure de marche aller, et qu’il faut se rendre à deux distributions par jour.

La solution retenue par le juge est d’autant plus critiquable que, lors de l’audience, les représentant-e-s des associations ont relayé les témoignages reçus des exilé-e-s, qui faisaient part de leur épuisement et de la difficulté trop importante de faire plusieurs heures de marche quotidiennes pour se rendre sur des lieux de distribution, par ailleurs souvent perçus comme dangereux par les personnes vulnérables. Ces témoignages ainsi que l’insuffisance des lieux de distribution à Calais étaient corroborés par les observations du Défenseur des droits.

Pour justifier sa décision, le juge des référés a encore considéré que les associations pouvaient toujours procéder à des distributions en centre-ville, en se décalant de quelques centaines de mètre pour sortir du périmètre de l’arrêté. Mais en raisonnant ainsi, le juge a ignoré la réalité dont sont venues témoigner les associations, à savoir le harcèlement policier dont ils font l’objet depuis l’édiction de cet arrêté, qui les a déjà conduits à devoir suspendre plusieurs distributions – au détriment évident des personnes à qui elles portent assistance. L’effet dissuasif de ce harcèlement est d’autant plus manifeste que les sanctions pénales encourues du fait de l’arrêté sont très lourdes.

Dans ces conditions, nos organisations ont décidé de saisir immédiatement le Conseil d’Etat, par l’intermédiaire de la SCP Spinosi Sureau, et de faire appel de cette ordonnance afin que soit consacrée l’évidente primauté du principe de fraternité – dont découle  « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour » – par rapport à l’incessante, cruelle et au demeurant inefficace traque, selon les termes employés par le Défenseur des droits dans son rapport de 2018, menée par l’Etat à l’encontre des personnes exilées et de leurs soutiens.

 23 septembre 2020

Organisations signataires : Emmaüs France ; Fédération des acteurs de la solidarité ; Fondation Abbé Pierre ; Help Refugees ; La Cimade ; L’Auberge des migrants ; Ligue des droits de l’Homme ; Médecins du monde ; Salam Nord Pas-de-Calais ; Secours catholique Caritas France ; Syndicat de la magistrature ; Syndicat des avocats de France ; Utopia 56.

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