Lettre de plusieurs organisations, dont la LDH, adressée aux députés
Madame/Monsieur le député,
La Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale doit auditionner ce mercredi 18 juillet 2018 Luc Mampaey, directeur du groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) et Claire Landais, secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). La première audition portera sur le contrôle des exportations d’armement des principaux pays de l’Union européenne tandis que la seconde portera sur la problématique des exportations françaises à destination des pays belligérants engagés au Yémen.
Nous saluons cette initiative de la présidente de la Commission des Affaires étrangères Marielle de Sarnez, qui offre une rare opportunité aux parlementaires de discuter du système français de contrôle des exportations d’armement.
Nous vous invitons à saisir cette occasion pour demander l’inscription à l’ordre du jour de la Commission de la proposition de résolution n°856 visant à la création d’une commission d’enquête sur le respect des engagements internationaux de la France dans le cadre de ses exportations d’armes aux belligérants du conflit au Yémen. Il est surprenant que cette résolution, déposée le 6 avril 2018 et co-signée par 60 députés issus de 4 des 7 groupes représentés à l’Assemblée nationale (dont un dixième des députés La République en Marche), n’ait toujours pas été examinée en Commission.
Après trois ans de guerre, le Yémen vit l’une des plus graves crises humanitaires au monde. Près des trois quarts de la population dépend de l’aide extérieure et plus de 8 millions de personnes sont au bord de la famine. Epuisés par trois ans de conflit, les Yéménites doivent maintenant faire face à l’offensive lancée le 13 juin dernier par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis contre la ville portuaire d’Hodeïda, principal point d’entrée de la nourriture, des médicaments, de l’essence et de l’aide humanitaire pour l’ensemble du pays. Plus de 120 000 personnes ont déjà fui la ville ces dernières semaines et les conséquences humanitaires risquent d’être désastreuses pour l’ensemble du Yémen dans les mois à venir.
Depuis trois ans, experts de l’ONU et organisations de défense des droits humains ont documenté de graves abus, dont des attaques illégales contre les civils, par les parties au conflit, en particulier la coalition menée par l’Arabie saoudite, dans laquelle le Royaume saoudien et les Emirats arabes unis jouent un rôle clé. Malgré cela, le gouvernement français continue d’autoriser les transferts d’équipement militaire à ces deux Etats, sans qu’ils soient soumis à un contrôle démocratique de la part du Parlement.
Deux études récentes montrent qu’il existe un risque juridiquement élevé que les ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis soient illégales au regard du Traité sur les armes et de la position commune du Conseil de l’Union européenne 2008/944/CFSP, en raison d’un risque important qu’elles ne soient utilisées contre des populations civiles au Yémen.
Or le Parlement ne dispose pas à l’heure actuelle des moyens d’exercer le contrôle qui lui incombe en vertu de la Constitution. En effet, ni le rapport annuel du ministère des Armées au Parlement, rendu public le 5 juillet, ni le rapport annuel au secrétariat du Traité sur le commerce des armes, rendu public le 10 juillet, ne fournissent les informations nécessaires à la réalisation d’un contrôle effectif de la légalité des exportations de matériels militaires.
L’enjeu est pourtant crucial car au-delà de la question essentielle de la légalité des ventes d’armes se pose celle de leurs répercussions sur les populations civiles.
Conscients de la gravité du sujet, 3 Français sur 4 demandent une suspension des ventes d’armes aux pays impliqués au Yémen selon un sondage YouGov pour SumOfUs et 69% sont favorables à un contrôle parlementaires renforcé.
Au Royaume-Uni et en Allemagne, des commissions parlementaires permanentes publient chaque année un contre-rapport après auditions de décideurs, industriels et ONG concernés. En Suède les parlementaires participent même, en amont, au processus d’octroi des autorisations d’exportations. Aux Etats-Unis, le Sénat a la possibilité d’interrompre une vente d’armes. En France, le contrôle est quasi-inexistant.
Plusieurs pays ont d’ailleurs revu leur politique d’exportation d’armement en raison du conflit au Yémen (voir la note informelle rédigée à votre attention sur ce sujet). En Belgique, par exemple, le Conseil d’Etat vient de suspendre plusieurs licences d’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite accordées par la Région wallonne en 2017. Ce n’est pas le cas du gouvernement français qui continue à autoriser le transfert de matériel militaire à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis, malgré le risque de complicité dans de graves abus.
Dans ce contexte, nous vous demandons de bien vouloir obtenir l’inscription immédiate de la résolution visant à la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les exportations de matériels militaires vers l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis dans le cadre du conflit au Yémen, à l’ordre du jour de la Commission des Affaires étrangères. Selon l’article 140-1 du règlement de l’Assemblée nationale, il appartient désormais à la Commission de se prononcer sur l’opportunité de la résolution.
Au-delà de la commission d’enquête parlementaire liée au conflit au Yémen, qui serait déjà une avancée significative, nous vous demandons également d’œuvrer à l’instauration d’un contrôle parlementaire pérenne sur les exportations d’armement, car une trop grande opacité continue d’entourer les exportations d’armement en général. Enfin, nous vous invitons à interroger la Secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale (voir suggestions de questions) afin d’éclairer la représentation nationale sur les exportations françaises à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis dans le cadre du conflit au Yémen.
En espérant que nos demandes retiendront tout votre attention, nous restons à votre disposition pour plus d’informations sur le sujet.
Sincères salutations,
Organisations signataires : ACAT ; Action contre la faim ; AIDL ; Amnesty International France ; CARE France ; Cairo institute for human rights studies ; FIDH ; Handicap international ; Human rights watch ; Ligue des droits de l’Homme ; Observatoire des armements ; SumOfUs.
Paris, le 16 juillet 2018