Sortie le 2 février 2018
C’est par hasard, et sans être spécialement informé sur ce qui concerne les migrations et la politique gouvernementale à ce sujet, qu’Arthur Levivier, réalisateur de Regarde ailleurs, arrive sur Calais en octobre 2016 : une amie lui a demandé de filmer le démantèlement de la « jungle » pour son propre documentaire. Une fois sur place, il est profondément révolté par le décalage entre ce qu’il voit et ce que disent les discours officiels et certains médias : loin d’être une « opération humanitaire » comme on voudrait le faire croire, le démantèlement n’est, à ses yeux, qu’une vulgaire expulsion, une démonstration de force. Pour lui, à l’origine du collectif Actividéo, qui réalise des vidéos militantes, le choix est évident : il sera au plus près des exilés, avec lesquels il vit 24 h sur 24, des associations, des militants.
Après ces premières images prises sur le vif, Arthur Levivier prend le temps de se documenter largement sur le sujet et retourne à Calais en juin 2017. Il se lie d’amitié avec les exilés restés sur place ou revenus des CAO où ils avaient été envoyés, recueille leurs témoignages, souvent bouleversants, partage et filme leur vie quotidienne. Elle est bien pire qu’avant le démantèlement et rythmée sans relâche par le harcèlement et les violences policières, qu’il est malheureusement impossible de filmer sans dispositif spécifique. Il revient donc deux mois plus tard, équipé de caméras de surveillance et de caméras cachées. Il enregistre alors ce qui est normalement impossible de voir : CRS et services municipaux qui détruisent systématiquement abris et maigres possessions des exilés, dissimulés dans la forêt, policiers intervenant brutalement au cours de distributions de repas, le soir, par des associations, etc…
Il recueille également le témoignage de divers militants et d’associations qui se mobilisent en faveur des migrants, notamment l’Auberge des migrants, et donne une place conséquente à la parole de Sophie Djigo, auteure du livre « Les migrants de Calais », qui permet de replacer la situation des exilés et l’expulsion du camp dans une vision d’ensemble.
Mais il fait place aussi aux discours des officiels (Maire de Calais, Préfète du Pas-de-Calais, Directeur départemental de la cohésion sociale…), aux fausses informations de certains media, essaie de faire parler des CRS qui se retranchent derrière les ordres à exécuter, et, surtout, ponctue l’ensemble de ses images par des extraits de journaux télévisés et de discours politiques, de 1999 à 2018, diffusés sur un vieux poste de télévision posé sur des lieux symboliques (ancienne jungle, rocade, parking des camions qui partent vers l’Angleterre, etc…). Il va sans dire que les propos de ces très hauts responsables politiques sont en contradiction avec les images qu’il a captées : on entend parler d’humanité, de respect des exilés, mais ce qui se passe sur le terrain est tout autre.
Ce documentaire nous permet de partager au plus près le quotidien des exilés et de faire connaissance avec maints personnages très attachants, souvent très jeunes, venant d’Erythrée, d’Ethiopie, d’Afghanistan, du Soudan, du Congo, etc, dont, sans aucun doute, les propos resteront gravés en nous. Les propos, mais aussi le visage, le sourire, la beauté, le courage, la force incroyable dont ils font preuve, leurs chants, leurs danses autour d’un feu la nuit, leur capacité d’autodérision, leur profonde humanité. En témoignent, entre autres, l’organisation extraordinaire qu’ils avaient réussi à mettre sur pied dans la « jungle » et des graffiti, souvent pleins d’humour et d’espoir, qui y étaient dessinés.
« Il convient de rendre une humanité au terme « Migrants ». Ce n’est pas un troupeau en situation de transhumance. Ces hommes, ces femmes, ces enfants ont un nom, une histoire, avec un dénominateur commun : l’espérance de vivre dans une humanité sereine » précise le réalisateur. Son film, qui se veut pédagogique, doit participer grandement à ce dessein. Ainsi, un couple de Calaisiens, mal informés, qui, au début du documentaire, débite des propos anti-migrants, « hallucinent » quand ils apprennent ce qu’il en est vraiment et se révoltent contre le traitement infligés aux exilés…
Regarde ailleurs invite le spectateur à se détourner de l’injonction qui lui est faite de détourner les yeux de la réalité des Migrants. En ces temps troublés où l’Europe se montre particulièrement insensible à leur sort, c’est un « documentaire d’intérêt général », comme l’a signalé un spectateur…
Thématiques du film : migrants, étrangers, droit d’asile
Regarde ailleurs
Film auto-produit
Durée : 85’
Réalisation : Arthur Levivier