Je suis une voix de la paix parce que je suis une femme. Non que je pense que les femmes seraient par nature plus douces ou plus paisibles, mais parce que le fait d’être une femme, et de tenter d’être une femme libre, m’empêche d’adhérer à ma tradition religieuse de façon fondamentaliste et d’en lire les textes de façon littérale. En effet, je suis catholique et le catholicisme a partagé avec la société dans laquelle il s’est développé une organisation puissamment patriarcale et masculiniste qui a laissé aux femmes un statut de mineures. Si les femmes veulent s’en échapper sans renier leur foi elles sont obligées d’interpréter les textes et de relativiser les pratiques et les traditions, fussent-elles millénaires. Elles doivent chercher au-delà des mots, une intention, une vérité bonne et désirable pour la famille humaine dans son entier, hommes et femmes de quelque culture et de quelque continent qu’ils soient. Mon engagement pour la paix, c’est d’œuvrer pour que ma tradition religieuse ne soit pas une forteresse, qu’elle ne dresse pas de murs mais bâtisse des ponts et ouvre des portes. c’est de travailler pour que les textes ne deviennent pas les armes du fanatisme mais des espaces de débat et de questionnement. Dans cet engagement, je ne cesse de trouver les femmes des autres traditions religieuses monothéistes qui mènent le même combat contre les intégrismes. Voilà pourquoi je crois que les femmes ouvrent les voies de la paix.
Je suis une voix de la paix parce que dans ces temps troublés, les opinions s’affolent, les peurs se révèlent, les haines se déchaînent. Le bruit et la fureur qui résonnent autour de nous sont aussi en nous, et par faiblesse, par lâcheté, nous refusons souvent de le reconnaître. Face à ce qui nous dérange, nous horrifie, nous culpabilise, nous sommes trop souvent tentés par le repli sur nous-même, les yeux, les oreilles et le cœur fermés à la complexité de notre monde. Nous sommes dangereusement tentés de nous raccrocher à ce qui nous conforte, nous rassure, et finalement nous exonère de nos responsabilités partagées.
Il faut cependant résolument continuer notre chemin ensemble, parce que nous n’avons finalement pas le choix. Nous ne sommes pas seulement des individus, monades isolées et imperméables à ce qui nous entoure. Chacun de nous est bien au contraire responsable de l’avenir que nous désirons tous, aussi paisible que juste, pour nous, nos proches, nos voisins, nos concitoyens, nos frères et sœurs, les êtres humains…
Pour moi, il s’agit de toujours chercher à comprendre, sans faiblesse et sans relâche : non pas excuser les failles, les erreurs, les horreurs, mais plutôt identifier les blocages, les refus, les frottements inhérents à toute société humaine afin de pouvoir mieux les dépasser. Dans mon travail, dans ma vie, je veux continuer sans relâche à tenter de démêler les malentendus et les rejets mutuels par l’approfondissement de l’étude, à travers l’écoute et l’analyse dépassionnée des faits et gestes de mes frères et sœurs humains, même les plus énigmatiques ou les plus révoltants. Comprendre avant tout pour mieux agir, ici, maintenant, et pour construire nos lendemains communs.
Daesh impose de couper les gens en morceaux pour oublier qu’ils sont nos semblables : ceux qui ne font pas allégeance sont des simples choses, on peut les tuer sans culpabilité. Je suis une voix de la paix parce que je sais que tous les humains sont mes semblables : ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous différencie.
Qu’est-ce qu’on se ressemble, au-delà de nos différences…
Daesh prétend détenir la vérité et être supérieur aux autres musulmans, aux juifs, aux chrétiens, et bien entendu aux athées. Je suis une voix de la paix parce que j’ai compris que c’est toujours l’humain qui interprète sa religion : je comprends mon islam à partir de ce que je suis et de ce que je vis. Même si le texte est divin, l’interprétation est toujours humaine… et donc subjective.
Daesh déclare : nous gagnerons parce que nous aimons la mort plus que vous n’aimez la vie.
Je suis une voix de la paix parce que je prouve que la vie est toujours plus forte que la mort. Dans le Coran, Dieu nous dit que lorsque ce sera la fin du monde, il faudra encore planter un arbre. C’est la vie qui prime sur le néant.
Je suis une voix de la paix parce que chaque jour, je prouve à des dizaines de jeunes que la fuite ne donne pas d’ailes. Je me dresse devant eux pour qu’ils restent plantés dans le monde réel. Pour rester humanisé, il faut rester lié à l’humanité.
Reviens dans la chaine humaine : c’est sur terre que ça se passe, en tous cas pour le moment, et ceci grâce à Dieu.
Je suis une voix de la paix parce que je suis une femme, une mère, une enseignante de conviction laïque !
Parce qu’être laïque c’est respecter la liberté de conscience de tous, toutes et de chacun, chacune, d’avoir la liberté de croire, de ne pas croire ou de changer de religion. C’est aussi respecter la liberté de penser et de s’exprimer !
Parce qu’être laïque c’est être à l’écoute de l’autre, pour le comprendre et pour qu’il me comprenne, pour rapprocher nos points de vue sans nous renier l’un/e l’autre dans notre être, nos identités et nos convictions.
Parce qu’être laïque c’est refuser les dogmes car la laïcité n’est pas une option spirituelle particulière mais la condition de l’existence de toutes les options.
Parce qu’être laïque c’est être tolérant/e, c’est écouter et faire un pas vers l’autre mais la tolérance ne signifie pas que j’accepte automatiquement le point de vue de l’autre, Le mouvement de chacun décloisonne et permet de combattre sans l’afficher le dogmatisme assuré de celui qui détiendrait seul LA vérité. Etre tolérant/e c’est accepter la pluralité des philosophies, des cultures et des croyances.
Parce qu’être laïque c’est (s’)éduquer pour privilégier le raisonnement, l’esprit critique, la réflexion personnelle pour préparer le dialogue interculturel, interconvictionnel qui conditionne la volonté de vivre ensemble en reconnaissant la richesse des différences.
Parce qu’être 1aïque, mère, et enseignante, c’est éduquer par l’intermédiaire des autres et du monde. C’est donner les moyens de comprendre et de se questionner sur soi-même, sa culture, ses propres représentations pour construire son propre jugement éclairé et faire des choix. C’est l’exigence de permettre à chacun d’être libre.
Parce qu’être laïque c’est vouloir vivre ensemble, c’est vouloir vivre en démocratie et en paix. La paix est œuvre de volonté et mes actions y contribuent. Cette paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité. Aussi je vis ma laïcité par l’action, non pas au nom de commandements divins ou de nécessités morales, mais au nom de l’intérêt général : vivre ensemble dans un monde plus juste.
Je me joins aux voix de la paix parce que j’estime que tout espoir nous est permis : nous sommes des êtres impermanents et dotés d’un énorme potentiel. Nous pouvons donc progresser.
Des attentats inadmissibles nous ont endeuillés, mais nous tous qui sommes ici, en répondant à l’agression par le dialogue, nous démontrons que la violence ou le repli sur soi ne sont pas des fatalités.
Au contraire, nous pouvons espérer aboutir à une paix extérieure si nous commençons par établir la paix en nous-mêmes, en observant l’éthique.
Nous avons la chance de vivre en France, qui nous garantit toutes libertés individuelles. Ici, nous pouvons exposer et proposer publiquement nos opinions, politiques ou religieuses, et élargir nos compréhensions en écoutant les autres, sans a priori.
Les clefs de l’autonomie intellectuelle sont l’instruction et l’éducation. Je rêve de programmes scolaires qui donneraient la priorité à l’apprentissage, au respect, à la solidarité et au discernement. Le respect de soi, d’autrui, de l’environnement, cela s’apprend. Le décryptage des informations, aussi.
De par son histoire et sa situation géographique, notre pays est une terre de passage et d’immigration. A chaque génération, des personnalités d’origine étrangère contribuent à l’éclat de la France dans tous les domaines, de l’art au sport, des sciences à la politique. Les nouveaux arrivants enrichissent le patrimoine national de leurs compétences. Accueillons-les avec joie et gratitude, et nous serons tous gagnants.
Je suis une voix de la paix parce que le spectacle de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants jetés sur les routes pour fuir la guerre et la violence qu’elle engendre m’est intolérable. Hier en noir et blanc, aujourd’hui en couleur et pourquoi pas demain en 3D, chaque image nous interpelle. Rien ne peut justifier ce déni d’humanité qui consiste à considérer ces réfugiés comme des envahisseurs, à les parquer derrière des barbelés ou à les rejeter comme des marchandises illégales. Je suis, nous sommes, de la même humanité qu’eux et leur détresse traverse les époques et les pays. Leur destin est notre avenir.
Je suis une voix de la paix parce que les attentats de l’année 2015 ne doivent pas donner raison à celles et à ceux qui font de la mort leur raison de vivre. Agissons pour que ces dramatiques événements ne nous dressent pas les uns contre les autres et qu’ils n’accroissent pas le sentiment d’exclusion que vit une partie de notre peuple. Travaillons à construire ensemble un chemin qui donne à la paix et à l’égalité des droits toute leur place. Engageons-nous en faveur d’une France solidaire, accueillante, libre et fraternelle, forte parce qu’ouverte à l’Autre. C’est le triple souhait qu’en tant que Présidente de la Ligue des Droits de l’Homme je formule aujourd’hui.
Je suis une voix de la paix parce que celles qui ne le sont pas font depuis trop longtemps autour de nous un bruit assourdissant, dans le vacarme de certitudes inquestionnées, de monologues agressifs et de revendications particularistes.
Je suis une voix de la paix parce que je crois à la force d’un débat d’idées qui ferait de la place à l’autre. Dans le Talmud, ce dialogue est magnifiquement incarné par l’affrontement incessant entre deux écoles de sagesse, celle d’Hillel et celle de Shammaï. On raconte que l’avis de la première école finit par l’emporter sur la seconde : parce que, disent les sages, les élèves de Hillel étaient capables de citer les arguments de Shammaï avant les leurs. En clair, le désaccord est fertile tant qu’il n’éclipse pas la voix de l’Autre.
Ne pas éclipser la voix de l’Autre, c’est ce projet que les pensées religieuses pourraient véhiculer dans notre société… à condition de reconnaître la façon dont elles produisent elles-mêmes si souvent cette oblitération.
Au cœur de nos traditions, le féminin a été longtemps le visage de cet effacement, et reste, bien trop souvent, le genre de l’éclipse. Or, un système de pensée ou de croyance qui ne fait pas de place aux femmes n’en fera à aucune altérité. En cela, les voix féminines de nos traditions doivent être entendues. Elles rappellent que tout discours monolithique, dans sa négation de la pluralité des voix, pave la route de tous les fondamentalismes.
Je suis une voix de la paix parce que nous vivons un moment où il faut donner de la voix, ensemble !
Pour crever les silences atterrés, les silences déprimants de celles et ceux qui se résignent à la montée des injustices, à la multiplication des fractures.
Pour couvrir les voix de ceux qui utilisent des mots de peur ou de haine pour rejeter « l’autre », l’étranger, pour lui faire comprendre qu’il est « indésirable » ici et nous faire croire qu’il serait un danger ou une menace et que, de toutes façons, notre barque serait pleine.
Dans ce temps de « crises » humanitaires, politiques, morales où les risques du pire sont bien réels, je suis une voix de la paix quand j’affirme que nous sommes beaucoup plus nombreux que l’on ne croit à porter, en paroles et en actes, un autre message.
A commencer par des choses simples.
Dire que l’étranger, réfugié, immigré, est d’abord une personne humaine avec un nom, une histoire, une famille. Comme chacun d’entre nous. Avec les mêmes aspirations, les mêmes rêves d’une vie dans la dignité et la sécurité, d’un avenir porteur d’espérance.
Rappeler que l’étranger s’inscrit dans notre histoire de France qui s’écrit et se nourrit depuis des siècles avec les forces vives, les connaissances et les richesses culturelles de la diversité de ses habitants.
Je suis, nous sommes des voix de la paix quand nous utilisons les mots de solidarité, de fraternité, d’hospitalité et que nous posons des actes derrière les mots. Individuellement et collectivement.
Quand nous entreprenons des initiatives qui montrent que le « bien vivre ensemble » est possible. qu’il se construit progressivement sans nier les difficultés pour les uns et les autres mais en recherchant le bien commun pour tous.
Ouand nous redécouvrons que l’hospitalité c’est bien d’avantage que d’ouvrir la porte de chez soi pour partager un peu de ses richesses, mais c’est de faire du « chez soi » initial un « chez nous » où l’on permet à l’hôte accueilli de partager aussi ses richesses avec son histoire, son courage et sa force de vie.
J’ai le souvenir de toutes vos guerres. J’en porte les stigmates dans mon cœur et sur mon corps. Je suis une femme cousue de peurs. J’ai consigné les nom des enfants que vous m’avez pris. Des terres que vous m’avez saccagées. Des cieux que, de vos haines, vous avez obscurcis. J’ai dans l’oreille le bruit de vos bottes et le fracas de vos armes qui jettent l’effroi dans ma maison. Vous avez fait de moi la veuve et l’orpheline. Vous avez fait de moi l’enjeu de batailles dans lesquelles je ne reconnais rien ni personne, même pas mon Seigneur. Par contre, j’y devine le vôtre, un Dieu toujours en campagne qui ne se soucie point du sort de la femme que je suis.
Vous ne voulez pas m’écouter ni sécher mes larmes. Vous vous sentez si forts ! Et excellez dans l’art de tuer. Mais qui a dit que tel est l’honneur ! Ni que tel est le Désir de Dieu. C’est l’élégance qui ne vous tue pas. Ni le respect envers celle qui vous a engendrés.
Sachez que, aujourd’hui, je veux faire entendre la voix de la paix contre celle de l’épée. Je veux réclamer ma dignité de femme, d’épouse et de mère. Je refuse de subir avec le mutisme forcé de la victime et du témoin impuissant. Daignez donc que je sorte de ma cuisine pour vous appeler à la raison. Daignez que je vous remplace à ce banquet où vous faites couler le sang là où je veux nourrir mes petits.
Tel sera mon pari. Et celui de toutes les femmes. Le pari de vous persuader qu’on peut avoir la tête haute sans le calibre au poing. Celui de maintenir le fil qui nous sépare tous du chaos. Celui de signer de mon nom le seul pacte qui vaille : le Manifeste pour la Vie.
Au Ve siècle avant J.C., la grecque Lysistrata avait lancé cet oracle :« Quand la guerre sera l’affaire des femmes, elle s’appellera la paix.» Que de prières et de larmes faudra-t-il encore pour que notre siècle lui donne raison !
Christine Pedottl
Valentine Zuber
Dounla Bouzar
Carole Coupez
Marle-Stella Boussemart
Françoise Dumont
Delphine Horvilleur
Geneviève Jacques
Fawzia Zouari
Mardi 22 mars 2016 • Mairie de Paris