A l’heure d’une crise systémique, économique, sociale et environnementale, dans un monde globalisé, l’économie sociale ne peut se présenter comme une alternative à la gestion dominante du travail, du capital, de la biosphère que si la question des droits est immédiatement posée. Et si l’une est de retour et que les autres sont inévitables, pourquoi ne pas les poser ensemble ? Les premières « Rencontres Charles Gide » organisée par la LDH à Uzès les 19 et 20 octobre seront une forte occasion de poser ces questions fondamentales.
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Du libéralisme dominant…
A l’inverse, au début des années 80, Reagan, nouvellement élu proclamait que l’Etat n’était pas la solution, mais le problème. Thatcher quant à elle y rajoutait son refus de toute politique sociale, puisque il n’y a pas selon elle de société, mais juste des individus. Et les portes sont alors ouvertes pour le profit individuel, Plus il y a de riches qui font du profit, plus il y a de gouttes qui tombent du haut vers le bas. C’était faux, les très riches se sont enrichis et les très pauvres appauvris, et les fameuses classes moyennes censées stabiliser le système, ont pu d’abord en profiter, mais à crédit, pour ensuite déchanter. L’économie sociale n’est alors pas identifiée comme une autre façon de produire, mais logiquement soit comme un secteur résiduel pour industrie en crise, soit comme un territoire d’utopie. Et les droits de l’Homme ne sont rien d’autre que la réserve dans laquelle s’enferment les bien pensants, les « bonne âmes », bref les « droits-de-l’hommistes ».
…à la crise globale
Le courant dominant de la politique et de l’économie considère la sécurité comme la seule des libertés à défendre par l’État, et l’accumulation individuelle de richesses comme la seule vertu économique de long terme. A l’inverse, l’économie sociale d’une part et les droits de l’Homme de l’autre partagent la même perte de sens et c’est leur commune identité de philosophie politique qui les soumet à la dégradation des rapports de force politiques. A l’heure où le libéralisme économique n’est plus triomphant, les questions de la nature du développement et de ses conditions sont de nouveau posées pour qu’elles débouchent sur une nouvelle conception du monde. Il convient donc maintenant de revenir aux fondements communs de cette philosophie politique. Cette identité de vue est ancienne. Aux 5 principes de l’économie sociale (liberté d’association, démocratie, répartition égalitaire, autonomie, solidarité) correspondent les fondements sur lesquels reposent la promotion et la défense des droits de l’Homme, l’indivisibilité des droits et leur universalité qui permettent d’en assurer l’effectivité.
De la finalité
Dans une crise systémique qui va jusqu’à poser la question de la survie des espèces vivantes, la finalité de la production devient une question essentielle Que produire ? Pour qui produire ? Comment produire ? Considérant que l’on ne pleut plus consommer plus que ce que la planète ne peut supporter, les droits de l’Homme pour chacun et chacune et partout deviennent un axe stratégique. Non seulement, c’est le type de production et de ses méthodes qui est en cause, mais aussi le rôle des entreprises dans le cadre d’une responsabilité sociale qui interdirait de fait de renvoyer vers la collectivité le soin de régler ses nuisances et ses effets négatifs sur l’environnement. La conception qui fait d’une entreprise une entité régie par son propre développement et renvoyant les conséquences de ce qu’elle fait vers l’extérieur n’est pas ou plus tenable. En un mot, ce que les économistes appellent les « externalités » n’apparaît plus comme une représentation acceptable des responsabilités. Comment ? C’est là que peut-être la proximité entre l’économie sociale et les droits de l’Homme prend de la force : si la crise est systémique, la vulnérabilité est différentielle, comme le montrent régulièrement les conséquences de toutes les catastrophes naturelles. L’enjeu est d’en faire un axe stratégique et non plus une possibilité.
Le retour aux valeurs communes
Notre conception des droits de l’Homme est fondée sur leur universalité et leur indivisibilité. Nous pouvons en tirer un principe d’action politique : une « citoyenneté sociale » articulant l’engagement civique et l’exercice de droits économiques et sociaux et donnant autant d’importance à l’individuation qu’à la solidarité. Comment agir autrement d’une part pour conjuguer liberté et égalité, et d’autre part pour être à la hauteur d’une crise systémique, environnementale, économique, sociale ? Commencer par rompre l’isolement fonctionnel dans lequel se sont enfermé chacune de leur côté les organisations de promotion et de défense des droits de l’Homme et les structures de l’économie sociale. L’histoire, singulièrement en France, a sérieusement séparé les deux champs d’activités. Nous faisons l’analyse qu’aujourd’hui, le retour aux valeurs communes est inévitable. Et ces questions sont évidemment politiques. Quelles forces réunir pour qu’un autre monde devienne possible ? Quelles mobilisations citoyennes assez puissantes pour donner aux droits plus d’égalité et d’universalité ? Comment contribuer pratiquement, chacun à sa place mais plus visiblement ensemble, à un pouvoir collectif d’intervention sur certains choix économiques et sociaux pour mieux garantir égalité et effectivité des droits ? Rappelons-nous que la coupure entre l’économique et le politique, et la soumission du social à l’économique ont toujours permis le maintien de l’ordre inégalitaire. La « société civile », en revanche, par ses alliances de « valeurs sociales » montre aux acteurs politiques que les principes d’égalité, de solidarité, de citoyenneté, sont les fondements d’une démocratie à la fois politique, économique et sociale.
Une stratégie convergente
Le temps est venu d’interroger ce modèle au vu des défis posés par les mutations liées à la mondialisation des économies et des marchés, le libéralisme et le jeu concurrentiel de l’espace économique. Dans quelle mesure ce secteur est-il porteur de droits et d’alternatives ? Peut-il conduire à un nouveau compromis social ? Ses missions, ses valeurs historiques, ses aspirations sociales sont-elles conciliables avec les dynamiques d’une économie de marché ? Enfin, vers quel modèle d’entreprises socialement responsables tendent ses acteurs ?
Cette nouvelle posture est d’autant plus forte que les soubresauts financiers, mais aussi les désastres écologiques ou technologiques ont mis en lumière que si la crise touche toute le monde, la vulnérabilité est différentielle. Aussi il ne peut plus être accepté que les efforts soient toujours plus importants du côté des plus modestes – l’égalité en matière d’emploi, de revenus, de patrimoine, mais aussi en conséquence en matière de logement, de santé, de consommation ou de sûreté. Les droits ne sont pas une possibilité ou une option parmi d’autres, mais une nécessité.
Ces questions sont donc posées aussi bien aux acteurs de l’économie sociale qu’aux militants des droits de l’Homme. Le dialogue, qui ne date pas d’hier, se construit en tension, mais sur une pensée commune encore trop souvent méconnue. Il s’agit non seulement de développer des réseaux de militants, mais de participer activement au projet de construction d’une entreprise durable en ce qu’elle respecte les droits de ses sociétaires, ses salariés, l’environnement.
Au-delà de ces échanges de pratiques, il convient d’identifier et de valider l’existence d’une correspondance entre principes fondateurs de l’économie sociale et solidaire et la dimension indivisible et universelle des droits fondamentaux.