En style d’époque, rendons grâce au président de la République d’avoir très involontairement remis au goût du jour ce petit roman du XVIIe siècle, publié sous pseudonyme par une femme, Madame de Lafayette, et considéré, mais pas par lui, comme l’un des chefs-d’œuvre de la littérature française.
Sans le dire, le film saisit finement l’affaire pour faire la preuve que ce texte parle encore à des jeunes d’aujourd’hui : pas des héritiers de la culture ni de la richesse. Des adolescents d’un lycée des quartiers nord de Marseille, d’origines variées, aux familles plus ou moins aimantes mais toutes socialement démunies. Ils travaillent en classe sur La Princesse de Clèves, ils apprennent le texte et en disent des extraits et ils se prennent à réfléchir, à parler d’eux et à rêver. Ils s’approprient beaucoup de choses du roman : la force de la famille et de la mère, la peur des dangers qui guettent les filles, le rôle de la pudeur et du silence ; et surtout les complications de l’amour. De l’identification aux héros au refus de leurs choix, ils font du roman un outil de réflexion sur leur vie et celle de la société dans laquelle ils vivent. Ils affirment qu’ils ont droit au Louvre et à la Bibliothèque nationale de France, comme ils ont eu, grâce à leur professeur, droit à ce roman-là : cela s’appelle le droit à la culture. Ils en parlent avec intelligence, comme aussi de l’identité nationale ou de la pauvreté des quartiers. L’expérience ne leur donne pas toutes les clefs : ils manquent d’assurance, restent pour certains en échec scolaire et témoignent finalement tous d’un profond désarroi face à un monde qu’ils jugent chaotique. Ils se sentent juste un peu plus adultes.
Le film travaille très étroitement le rapport entre la langue classique, très pure et accompagnée de musique de cour, et ces jeunes aux museaux de toutes couleurs, accent des cités de Marseille et piercings compris. Le tout dans le décor qui est le leur : les barres d’immeubles, le grand lycée aux coursives carcérales. Il ne s’agit pas d’actualiser artificiellement une œuvre ancienne, de la transposer dans le monde d’aujourd’hui, mais de montrer ce qu’elle a d’inépuisable. D’un côté, la prison dorée de la princesse de Clèves et son malheur absolu ; de l’autre, une société qui emprisonne ses enfants les moins gâtés, surtout quand ils viennent d’ailleurs, en leur fermant l’espoir d’une vie meilleure. Ils comprennent fort bien le rapport – eux.
Nous, princesses de Clèves
Film documentaire, 2010
69’
Réalisation : Régis Sauder
Production : Nord-Ouest Documentaires / RFO
Sortie : 30 mars 2011