Prostitution : « Défendre les droits »

Résolution sur la prostitution adoptée par le Comité central de la LDH le 14 septembre 2002.

Sur le difficile sujet de la prostitution se développent actuellement des discours allant du retour à l’ordre moral à la réglementation de cette activité au même titre qu’une autre.



Le ministère de l’Intérieur s’apprête à expulser les prostituées étrangères. Les maires de plusieurs villes prennent des arrêtés repoussant la prostitution au-delà des regards. Dans les instances européennes, sous la pression de certains pays qui ont déjà légiféré pour leur compte, se manifeste une position réglementariste : puisque la prostitution existe et qu’elle est impossible à éradiquer, autant l’organiser dans des conditions sanitaires et sociales qui soient les moins mauvaises possibles, rouvrir les maisons closes et donner aux personnes prostituées un statut et des droits comme à tout travailleur. Cette position repose sur la distinction entre « prostitution libre » et « prostitution forcée » : si une femme ou un homme décide de se prostituer, c’est son droit ; il ne faudrait lutter que contre la « prostitution forcée », replacée dans le cadre plus général de traite des êtres humains, forme d’esclavage moderne qui est en effet en plein développement. Le Parlement européen avait adopté un texte en ce sens en mai 2000, texte qui n’incriminait que le « trafic » et niait le proxénétisme. Certains en Europe sont prêts à s’intéresser aux revenus de la prostitution, qu’il faudrait intégrer dans les calculs de PNB et surtout ne pas abandonner aux seuls réseaux mafieux.
Cette évolution est inacceptable. Le chemin qui mène à la prostitution tient plus à la misère morale et matérielle qu’à l’exercice de la liberté. Le droit à disposer de son corps, qui demeure intangible, ne dément pas cette constatation.

Nous ne croyons pas que la prostitution soit un métier, exercé par des travailleuses ou des travailleurs du sexe ouvrant droit à des formations, des congés, des assurances, etc. Si pour subsister il faut vendre son corps, c’est justement qu’on ne peut pas disposer de sa force de travail, qu’on n’a rien d’autre à vendre. Organiser la prostitution selon un schéma professionnel ne peut que conduire à la légitimation d’un système d’exploitation dont, sous couvert du libéralisme, nul ne peut contester qu’il soit destructeur.
La prostitution tout entière est aujourd’hui infiltrée par les réseaux mafieux internationaux, qui achètent et revendent des femmes en Afrique, en Asie et dans les pays de l’est de l’Europe pour les mettre sur le marché des pays les plus riches. Il s’agit d’un véritable esclavage. Le chantage à la sécurité de leur famille dans leur pays d’origine les met hors d’état de se défendre, sans compter les violences dont elles sont l’objet. Ce commerce mondialisé, contrôlé par des moyens criminels, est extrêmement lucratif. Réglementer la prostitution, la considérer comme une prestation de service, c’est entériner ce trafic où le proxénétisme a changé d’échelle et même de nature, c’est accepter de fait les droits du marché – proxénètes et clients – et la souffrance et l’humiliation des prostitué(e)s. Le proxénétisme doit être au contraire sévèrement réprimé.

Mais, refuser le réglementarisme et la légalisation d’une profession n’implique pas de ne pas reconnaître des droits aux personnes victimes de cette situation, aux personnes prostituées. Nous souhaitons des mesures sociales pour les aider, aussi bien celles qui disent vouloir continuer à exercer cette activité que celles qui veulent sortir de la prostitution, aussi bien les françaises, victimes de discriminations de toute sorte, que les étrangères sans titre de séjour, qui se trouvent encore plus discriminées : elles ne sont connues des pouvoirs publics que comme clandestines et donc totalement abandonnées.

Nous ne sommes pas plus partisans de légaliser que d’interdire. La prostitution ne doit relever ni d’un droit spécifique ni du non-droit, mais des droits communs à tous, dans une perspective réellement égalitaire : délivrance d’un titre de séjour, droits sociaux, accès aux soins gratuits, droit au logement ; reconnaissance d’un statut de victimes pour les personnes liées à un réseau de prostitution, en même temps que possibilités concrètes de mises à l’abri, éventuellement gérées par des associations agréées ; aides à la réinsertion. Et cela sans conditions préalables de dénonciations des réseaux et des proxénètes, ni retour forcé dans leur pays d’origine, contrairement au protocole de Vienne (décembre 2000) qui met en place un véritable dispositif de chantage ou aux méthodes encore plus expéditives envisagées par le ministre de l’Intérieur.

Il y aurait, enfin, une hypocrisie certaine à ne pas se préoccuper de l’attitude de ceux qui considèrent que le corps d’une femme ou d’un homme est un objet de consommation. Si les législations répriment les proxénètes de métier, elles sont, à quelques exceptions près, muettes sur les responsabilités des clients. Sans doute, un souci d’efficacité amène à considérer les solutions répressives comme improductives : elles ne feraient que rejeter dans la clandestinité tous les acteurs, rendant encore plus sordide et dangereux l’acte de prostitution. Sans doute aussi, ne change-t-on pas une réalité aussi ancienne par le seul recours à l’interdit légal. Il n’en reste pas moins que l’on doit réfléchir aux formes que doit prendre la responsabilité des clients. A ce titre, il faut, dès aujourd’hui, informer et éduquer, combattre le silence, les préjugés archaïques et les complaisances sexistes qui encore aujourd’hui, autour des pays théoriquement les plus développés, creusent d’épouvantables zones d’exploitation, de souffrance et d’inégalité.

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