Monsieur le Président de la République,
Julian Assange vous a adressé le 3 juillet dernier une demande d’asile en France. Julian Assange n’a pas choisi la France par hasard. Cette demande procède certes de raisons familiales, mais surtout du rapport historique particulier qu’entretient notre pays avec les droits de l’homme. Sa demande est une marque de confiance pour notre pays, qui pose des questions fondamentales que l’on ne peut évacuer de façon expéditive. Nous sommes donc interpellés de la réponse négative apportée par vos services moins de 24 heures après l’expression de la demande de Julian Assange. La question est trop grave pour en rester à un classement sans suite, d’autant que ceci arrive après les difficultés rencontrées par Edward Snowden et reflète une problématique qui se reposera à l’avenir.
Julian Assange, vous le savez, vit reclus dans 5 m2 à l’Ambassade d’Equateur à Londres, sans aucun accès à l’extérieur, au jardin ni même à une terrasse. Il est séparé de sa famille et de ses proches, dont certains se trouvent en France. L’origine de ses difficultés ? Avoir eu le courage de rendre publics des documents qui révèlent les abus criminels de l’armée américaine, les mensonges de l’administration ou encore les écoutes de la NSA. Et c’est précisément pour cette raison que la France devrait répondre favorablement à la demande d’asile de Julian Assange. Les documents que Wikileaks a révélés démontrent que l’ensemble des acteurs politiques et économiques français sont écoutés par la NSA. Ceci interroge sur la réalité de la souveraineté de notre pays, et attaque de plein fouet nos intérêts économiques, que vous placez d’ailleurs au cœur de votre politique étrangère.Plutôt que de brider les libertés en adoptant une directive sur le secret des affaires ou une loi sur le renseignement, nous ferions mieux au niveau français comme européen, de faire vivre les libertés fondamentales qui sont notre marque de fabrique et de mettre en place des mesures communes pour protéger nos intérêts face aux écoutes de la NSA. Il ne nous appartient pas de juger de la réalité des faits qui sont reprochés à Julian Assange en Suède, nous souhaitons que la justice suédoise puisse faire son travail. Cependant, au vu de la situation particulière de M. Assange, il nous parait tout à fait légitime pour garantir sa sécurité qu’il puisse être entendu à distance.
La voix de la France porte dans le monde lorsqu’elle incarne les valeurs des Lumières, de la Révolution Française et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. C’est en vertu du préambule de notre constitution qui prévoit que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République » que nous vous demandons d’accorder l’asile à Julian Assange. La France s’est honorée en 2003, lorsqu’elle a refusé le chantage à la guerre en Irak et a marqué son indépendance vis-à-vis des Etats-Unis. L’histoire nous donne aujourd’hui malheureusement raison. La question posée par la demande d’asile d’un lanceur d’alerte comme Julian Assange est politiquement comparable à celle qui nous était posée en 2003. La révolution numérique et ses potentialités seront-elles récupérées au service de la surveillance généralisée ou ouvriront-elles sur de nouveaux espaces de démocratie et d’expression des libertés ?
Il incombe au Président de la République de se placer au-dessus des considérations de politique intérieure, des intérêts économiques ou encore des partenariats internationaux pour que la France se positionne à la hauteur de ses valeurs et de son histoire. Nous comptons sur votre sens des responsabilités pour donner une suite favorable à la demande de Julian Assange.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.
Bertrand Bocquet, président de la Fondation Sciences Citoyennes ; Vincent Brossel, directeur de Peuples Solidaires ; Thomas Coutrot, porte-parole d’Attac ; Antoine Deltour, lanceur d’alerte de LuxLeaks ; Françoise Dumont, présidente de la LDH ; Stéphanie Gibaud, lanceuse d’alerte d’UBS ; Cécile Gondard-Lalanne et Eric Beynel, co-délégué-es généraux de l’Union syndicale Solidaires ; Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU ; Marie-José Kotlicki, secrétaire générale et Sophie Binet, secrétaire générale adjointe de la CGT des Ingénieurs, Cadres et Techniciens ; Bruno Lamour, président du Collectif Roosevelt ; Severine Tessier, présidente d’Anticor ; Emmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat National des Journalistes CGT.