Lettre ouverte adressée par Michel Tubiana, président du REMDH, au ministre de l’Intérieur du Maroc, Monhamed Hassad
Bruxelles, Paris, Copenhague, le 25 Novembre 2014
Monsieur le Ministre,
Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) souhaite vous faire part par cette lettre de sa profonde préoccupation au sujet des restrictions grandissantes à la liberté de réunion au Maroc, en particulier du harcèlement croissant que subit l’Association Marocaine des Droits Humains (AMDH), membre du REMDH.
Sans remonter aux mois précédents où l’AMDH a enduré des interdictions ponctuelles, entre le 12 juillet et le 12 novembre 2014, l’AMDH a fait état de 48 interdictions arbitraires de réunions organisationnelles, sit-in, conférences publiques, activités de formation, et caravanes. L’association s’est souvent vu refuser, ou retirer, l’autorisation de se réunir dans un lieu public, souvent au dernier moment et malgré l’autorisation accordée au préalable par le directeur du local dans lequel l’activité devait se tenir. Ces interdictions ont concerné des activités publiques mais également des réunions internes.
La dernière interdiction rapportée remonte au 12 novembre où les militants n’ont pu se réunir dans une salle publique à Tantan pour l’organisation d’un atelier de formation, malgré l’accord des responsables. Plus tôt ce mois-ci, le 5 novembre, le pacha de la ville de Kariat Ba Mohammed a notifié à l’AMDH son refus, invoquant des motifs de sécurité, que l’organisation tienne un sit-in de protestation prévu pour le 8 novembre. Début novembre, les participants à une conférence à Temara n’ont pu accéder au lieu de conférence, celui-ci étant encerclé par les forces de sécurité, sans aucune explication. Pour la seule journée du 1er novembre 2014, 20 conférences de l’AMDH ont dû être annulées, faute d’autorisation.
Selon l’AMDH, ces interdictions n’ont été que très rarement communiquées par écrit ni accompagnées d’une explication justifiant chaque restriction. A deux reprises, les activités de l’organisation ont été interdites pour des motifs de sécurité. Le 25 septembre, la wilaya de Rabat a refusé l’organisation d’une conférence « Médias et Démocratie » deux jours plus tard à la Bibliothèque Nationale sous prétexte que l’organisation avait omis de se conformer aux procédures de notification énoncées dans l’article 3 du dahir régissant les rassemblements publics. Le 22 novembre, suite à une plainte déposée par l’association contre le gouverneur de Rabat, le tribunal administratif de Rabat a reconnu l’illégalité de l’interdiction, statuant que l’interdiction de la wilaya de Rabat est nulle et non avenue et ne repose sur aucune base juridique, et a condamné vos services à 100.000 dirhams de dédommagements.
D’autres organisations de défense des droits de l’Homme ont également vu leurs activités entravées par des décisions émanant de vos services. Début septembre, la seizième édition du camp de jeunesse organisé par Amnesty International au Maroc a été interdite arbitrairement par les autorités marocaines, sans aucune notification préalable ni explication officielle. La Ligue marocaine de défense des droits de l’Homme s’est également vu interdire l’utilisation du centre Bouhlal à Rabat les 27 et 28 septembre dernier.
Les interdictions se sont intensifiées suite à votre propos extrêmement préoccupants, le 15 juillet dernier devant le parlement dans un discours sur la lutte contre le terrorisme, accusant les organisations non gouvernementales de répondre à des agendas étrangers et de nuire par leurs actions à la réputation et à la sécurité du pays.
Dans ce contexte, le REMDH vous appelle à cesser toutes entraves arbitraires à l’action de la société civile marocaine et des défenseurs des droits de l’Homme, à garantir la liberté d’association en toutes circonstances, et à rétablir un climat de confiance et de dialogue avec les organisations indépendantes de la société civile, même les plus critiques. Le REMDH a déjà soulevé ses préoccupations lors d’une réunion avec M. Charki Draiss, ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur, en septembre dernier.
Ces attaques répétées dont font l’objet les organisations de défense des droits de l’Homme non seulement sont contraires à la Constitution marocaine ainsi qu’aux engagements internationaux de l’Etat marocain en la matière, mais également mettent en danger l’état de la démocratie au Maroc et ternissent l’image et la réputation internationales du Maroc, alors que celui-ci s’apprête à accueillir la deuxième version du forum mondial des droits de l’Homme du 27 au 30 novembre à Marrakech.
Dans l’espoir que la présente lettre retiendra toute votre attention, dont vous comprendrez que nous la rendions publique, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre haute considération.
Michel Tubiana,
Président du REMDH