Résolution adoptée par le 91e congrès de la LDH, Marseille – 4, 5 et 6 juin 2022
L’exercice des droits et des libertés suppose aujourd’hui la préservation des écosystèmes, car il est de plus en plus affecté, directement et indirectement, par les dégâts causés à ce que les êtres humains voient comme leur environnement. En effet, l’humanité est devenue une « force géologique » majeure et cause agissante de bouleversement des écosystèmes. Les dangers immédiats que représentent les changements climatiques d’origine humaine, l’effondrement de la biodiversité et plus largement le franchissement en cours des limites planétaires menacent directement les conditions de vie et donc l’exercice des droits de tous et toutes.
La vigueur des mobilisations sociales, notamment de jeunes générations militantes, a permis d’installer la prise de conscience de ces dangers à l’échelle internationale, faisant prévaloir les constats scientifiques face aux idées climatosceptiques. Mais cette prise de conscience se heurte à l’inaction persistante des pouvoirs publics et aux failles dans la recherche d’un intérêt général intégrant l’urgence climatique et la donne environnementale, notamment face aux intérêts privés ou publics des grandes organisations exploitant sans frein des « ressources naturelles » finies, causant des dommages irréversibles aux milieux et portant souvent par la même occasion des atteintes répétées aux droits, en particulier en matière de santé.
Les droits sont également affectés par l’opacité ou par les manipulations touchant l’information sur les enjeux environnementaux, par l’absence de canaux de participation démocratique aux décisions publiques en la matière, par l’insuffisance des procédures de consultation lorsqu’elles existent et par la conception loin des populations de projets ayant des conséquences environnementales par les acteurs privés, les Etats ou les collectivités décisionnaires.
Les violations des droits liées aux atteintes aux écosystèmes en sont dangereusement accrues, les défenseures et défenseurs de l’environnement étant à cet égard particulièrement ciblés.
Dans ce contexte, la LDH affirme :
- que le droit à un environnement sain – individuel et collectif – est indissociable des autres droits et que seul un environnement durable, c’est-à-dire préservé ou restauré dans le temps, ouvre une perspective d’exercice de tous les droits à tous leurs bénéficiaires actuels et futurs ;
- que le principe de non-régression, selon lequel la préservation de l’environnement ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, soutient l’effectivité du droit à un environnement sain ;
- qu’il est de la plus haute urgence de maintenir des potentialités de bien-être et de santé communes à l’ensemble du vivant, notamment contre des appropriations marchandes croissantes, dans un équilibre entre l’humanité et son environnement, l’imbrication entre l’être humain et la biosphère étant rendue d’autant plus visible par la prévalence croissante des zoonoses et leurs conséquences épidémiques, potentiellement pandémiques ;
- que la reconnaissance des responsabilités humaines pour la préservation des biens communs environnementaux nécessite de mieux définir ces responsabilités ;
- que la remise en cause de la cohésion de l’humanité face aux périls communs est une atteinte à l’universalité des droits ;
- que doit donc être rejetée la perpétuation des mécanismes d’échange inégal qui organisent l’exploitation croisée de l’environnement et des populations, notamment des peuples autochtones, tout comme doivent l’être les mesures de conservation environnementale quand elles remettent en cause les droits et les moyens de subsistance des populations sur leurs territoires ;
- que doivent être pris en compte les effets différenciés des atteintes à l’environnement qui accentuent les inégalités sociales et territoriales, les populations les plus pauvres en étant les premières victimes dans tous les pays ;
- que les mesures prises pour remédier aux atteintes à l’environnement doivent contribuer à réduire ces inégalités ;
- que doit être reconnue la capacité d’un collectif humain à tisser des solidarités autour des « communs » sans appropriation excluante, dans un équilibre entre proximité et mutualisation, à une échelle adaptée pour en éviter la confiscation, en exerçant une vigilance face aux usages abusifs, à travers un processus allant de la délibération à l’action juridique ;
- que les situations portant atteinte aux communs environnementaux doivent systématiquement faire l’objet d’incriminations pouvant donner lieu à l’engagement de poursuites judiciaires ;
- que sur le plan démocratique, outre l’engagement des responsables politiques, il est indispensable d’instituer de nouveaux lieux de représentation, de participation et de responsabilisation pour la reconnaissance des communs environnementaux dans une multiplicité d’espaces territoriaux, du niveau local à l’échelle internationale, dans des cercles de décision et de solidarité divers ;
- que face aux changements climatiques et aux dommages environnementaux qui accentuent la mobilité humaine contrainte ou forcée dans tous les territoires, y compris européens, l’universalité des droits renforce l’impératif d’accueil des personnes obligées de se déplacer et nécessite plus largement des moyens spécifiques pour les accompagner en garantissant leurs droits ;
- que la reconnaissance de la responsabilité du modèle de croissance fondé sur l’exploitation effrénée des ressources, au mépris des équilibres de la biosphère, implique d’agir pour transformer nos sociétés dans le sens d’une plus grande sobriété ;
- que les forces productives et marchandes doivent être régulées sur des bases d’intérêt général intégrant l’enjeu écologique, de façon à ce que les décisions qui s’imposent en matière de préservation de l’environnement aillent de pair avec l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels de tous les êtres humains, notamment des plus fragiles ;
- que la justice sociale impose que les améliorations à apporter notamment aux transports, à l’alimentation, au logement, à la santé, à l’aménagement du territoire, dans une perspective écologique respectueuse du bien-être et du milieu de vie, soient fondées sur les droits des personnes concernées ;
- que l’écologie ne saurait être instrumentalisée pour amoindrir les droits et les libertés au nom de conceptions autoritaires ou d’une vision réactionnaire et figée de « la nature ».
La LDH s’engage en conséquence :
- à prendre sa part de responsabilité en combattant directement les atteintes à l’environnement, notamment au climat et à la biodiversité ;
- à se saisir pour cela des avancées dans la reconnaissance du droit à un environnement sain, notamment aux plans européen et international, de façon à soutenir son effectivité, ainsi qu’à en promouvoir de nouvelles, y compris devant les juridictions, le cas échéant en soutien d’autres organisations ;
- à peser pour la préservation de la biosphère par toutes les instances compétentes, notamment politiques et judiciaires, du niveau local à l’échelle internationale, y compris contre les extinctions d’espèces ;
- à défendre l’accès du public à l’information, sa participation à la décision publique et l’accès à la justice en matière d’environnement ;
- à modifier en conséquence ses statuts et à se doter des moyens d’action adéquats, sans oublier de s’attacher à limiter sa propre empreinte environnementale ;
- à contribuer à la co-conception pérenne des politiques concernant les biens communs entre pouvoirs publics, scientifiques, citoyennes et citoyens, avec une information du débat public et une expertise présentant des garanties d’indépendance, s’inscrivant dans un temps long et intégrant les acteurs associatifs ;
- à poursuivre à cet effet les partenariats initiés, y compris dans l’animation territoriale et la formation, pour l’appui à d’autres réseaux militants sur les enjeux de démocratie environnementale et à déployer de nouveaux partenariats chaque fois que nécessaire ;
- à développer les interventions pédagogiques, en particulier dans les établissements scolaires, sur les enjeux croisés de préservation de l’environnement, d’écologie et de défense des droits et des libertés ;
- à défendre les lanceurs d’alerte, militantes et militants défenseurs de l’environnement ou défenseurs des droits en matière environnementale, mis en difficulté, empêchés de s’exprimer, voire mis en danger ;
- à déployer entre autres dans cette perspective un travail d’alerte, y compris auprès des organisations internationales compétentes, face aux insuffisances de la mise en œuvre par la France des textes internationaux, notamment la convention d’Aarhus ;
- à participer aux débats sur les atteintes aux droits résultant des liens entre exploitation de l’environnement et notamment les dominations économiques, les régimes autoritaires, le patriarcat, le racisme et l’héritage colonial ;
- à inscrire pleinement son action en la matière dans l’indivisibilité et l’universalité des droits qui fondent son engagement.
Adoptée le 6 juin 2022
Pour : 287 ; contre : 0 ; abstentions : 14