Tribune collective signée par Malik Salemkour, président de la LDH
Des associations d’éducation populaire, dont la LDH, appellent, dans une tribune à l’Obs, à des actions en faveur de l’engagement de la jeunesse vers la citoyenneté, partout sur le territoire.
Au lendemain de l’élection présidentielle et à la veille des élections législatives, médias, partis et commentateurs n’ont de cesse de regretter l’abstention ou la part importante du vote à l’extrême droite chez les jeunes. Il est possible de s’en désoler, mais il serait plus judicieux de regarder dans le précédent quinquennat pourquoi ces deux phénomènes continuent d’augmenter et ce qu’il serait possible de faire pour permettre aux jeunesses de se réinvestir dans la démocratie.
Ce texte vise à donner quelques éléments de compréhension mais surtout à décrire le programme ambitieux que nos organisations essaient de construire et qui pourrait être mis en place pour sortir de cette grave crise démocratique.
Les limites du SNU
Au cours des cinq dernières années, la principale politique publique sur l’engagement des jeunes a consisté en la mise en place du service national universel (SNU). Si nous partageons complètement l’un de ses objectifs : favoriser la rencontre des jeunesses de France et des territoires ultramarins, sa forme autoritaire et qui flatte le patriotisme ne peut leur permettre de vivre une importante étape vers un engagement citoyen.
Depuis bien plus d’un siècle, les associations d’éducation populaire savent que se construire en citoyen ne se résume pas à quelques jours de cours imposés sur ce que sont les valeurs de la République. Se construire en citoyen est d’abord un parcours long et parfois sinueux qui permet à chaque jeune d’éprouver dans sa vie, dans des temps scolaires et non scolaires ce qui fait la force de notre pays : la liberté, l’égalité et la fraternité/sororité. La République doit se vivre au quotidien plutôt que s’instruire au SNU. Les dispositions relatives au SNU inscrites dans le Code du Service national doivent être abrogées.
Le SNU en vigueur qui a montré ses importantes limites lors des deux périodes d’expérimentation, ne permet en aucun cas de créer des mixités, de construire des moments d’apprentissage au faire-ensemble, c’est-à-dire décider et agir collectivement. Il impose, ordonne, range et ne s’adresse qu’à une partie minoritaire des jeunes (intéressés par les uniformes ou désireux de cadres stricts). Le SNU pensé comme un dispositif faisant appel à des prestataires extérieurs ne donne à voir qu’une illusion de ce que doit être la citoyenneté, l’engagement et la participation à la vie démocratique. Il construit une bulle où règles et modules de formation sont plaqués.
Un parcours émancipateur
A l’opposé de ces conceptions sécuritaires et, si on n’y prête pas attention, de dérives dangereuses, nous souhaitons mettre en place un parcours émancipateur basé sur des pédagogies de la rencontre des jeunesses et de la citoyenneté, rendant possible les mobilités, l’altruisme, le soin des autres, notamment des plus vulnérables, de soi et de la planète. Il doit s’inscrire dans les missions éducatives de l’Etat et donc s’appuyer sur des services de l’Etat forts. Il doit créer pour tous les jeunes de France les conditions pour être entendu, pouvoir agir, voyager, découvrir l’Europe, le monde, s’engager pour des causes citoyennes, solidaires, environnementales, contre les discriminations et pour l’égalité. La dimension collective y est importante, on ne fait pas société seul.e. en n’écoutant que ses désirs ou ses pulsions.
Un tel programme ne peut se mettre en place qu’avec les associations, fédérations, syndicats et mouvements de jeunesses, qu’avec les acteurs qui travaillent avec les jeunesses et avec les acteurs des territoires. Nous défendons l’idée que permettre à des jeunes de s’expérimenter, de vivre avec d’autres dans un espace libre, de débattre et d’échanger mais surtout de faire, que les jeunesses puissent décider de ce qui les concerne est fondamental pour construire les citoyens de demain. L’environnement éducatif sécuritaire et contraint que rencontrent les enfants et les jeunes dans plusieurs dispositifs censés les accompagner ne fait que renforcer l’idée que leurs combats et souhaits pour l’avenir du pays, de l’Europe et donc du monde ne sont pas pris en compte par les décideurs et les autorités, qu’ils décident à leur place.
Pour que chaque jeune Français puisse vivre la République, éprouver la liberté, l’égalité et la fraternité/sororité, nous proposons que le programme s’adresse à tous entre 11 et 25 ans sur les temps scolaires et hors école. Le parcours peut et doit reprendre des étapes symboliques de prise de responsabilités et des expériences de rencontres et de mixités : classes de découverte, séjours collectifs, correspondances scolaires, parcours Bafa, coopérations européennes et internationales, etc. Comme pour l’école, le programme s’appuie sur des financements d’Etat, il doit permettre l’émergence de tiers-lieux sur l’ensemble des territoires, urbains comme ruraux, où les jeunesses auraient une place singulière pour créer des rencontres. Le programme doit impulser une dynamique positive, volontaire et riche de mixité des jeunesses sur un temps long, là où le SNU contraint sur une très courte durée. Il s’agit, pour nous, de construire des lieux mettant en œuvre des pédagogies de la rencontre et du faire-ensemble, plutôt que d’imposer encore une fois une forme scolaire qui montre ces limites en termes d’enjeux de mixités, de démocratie et d’union nationale.
Janusz Korczak disait en 1919 : « A force d’être gavés de paroles édifiantes, de nombreux enfants finissent par prendre en aversion la vertu ; laissons-les découvrir eux-mêmes, graduellement, les bienfaits et les douceurs de l’altruisme. » La guerre en Ukraine et l’extrême-droitisation du débat public nous obligent à nous replonger dans ces années d’entre-deux-guerres, et donc à proposer avec force la mise en place d’un parcours, véritable programme inclusif, permettant aux jeunesses de se rencontrer sans contrainte, ni obligation et de (re)trouver les chemins de l’émancipation et de la citoyenneté.
Signataires :
Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme ; Jean-Baptiste Clérico, directeur général des Centre d’Entraînement aux Méthodes d’Education active (Cemea) ; Chloé Corvée, présidente de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) ; Christian Eyschen, Secrétaire général de la Libre Pensée ; Philippe Meirieu, président des Centre d’Entraînement aux Méthodes d’Education active (Cemea), professeur honoraire en sciences de l’éducation ; Anne-Marie Harster, présidente de Solidarité laïque ; Colin Champion, coresponsable du Forum français de la Jeunesse (FFJ) ; Nelly Vallance, présidente du Mouvement rural de Jeunesse chrétienne (MRJC) ; Nathalie Monteiro et Véronique Marchand, coprésidentes de la Confédération nationale des Foyers ruraux (CNFR) ; Arnaud Tiercelin, Lucie Bozonnet, Yann Renault, coprésident.es du Comité pour les Relations nationales et internationales des Associations de Jeunesse et d’Education populaire (Cnajep) ; Frédéric Marchand, secrétaire général de l’UNSA Education ; Marie-Christine Bastien et Catherine Tuchais, cosecrétaires générales du syndicat Education, Pluralisme, Action solidaire EPA-FSU ; Suzanne Chevrel, présidente des Eclaireuses et Eclaireurs unionistes de France ; ; Michèle Zwang-Graillot, présidente de la Ligue de l’Enseignement ; Tarik Touahria, président de la Fédération des Centres sociaux et socioculturels de France (FCSF) ; Carla Dugault, coprésidente de la Fédération des Conseils de Parents d’Elèves nationale (FCPE) ; Imane Ouelhadj, présidente de l’Union nationale des Etudiants de France (Unef).