Tribune publiée sur Mediapart
Celles et ceux qui ont subi la guerre civile de 1984 à 1988, ou qui y ont participé, en restent marqués à jamais. Les Accords de Matignon ouvrirent dix ans de progrès et de paix. L’Accord de Nouméa déploiera vingt ans, et bientôt vingt-trois ans, d’un processus unique, loin d’être achevé, de décolonisation pour les descendants du peuple kanak qui a été colonisé et des Calédoniens victimes de l’histoire.
Le « plus jamais ça ! » est devenu un espoir concret qui appelle toutes et tous à la responsabilité.
Sans apprécier tous les tenants, aboutissants et arguments en présence du choix de date fait par l’Etat pour la consultation référendaire, observons qu’un consensus aurait été positif. Avant la tenue de l’élection présidentielle plutôt qu’après ? Freiner l’interventionnisme accru d’une Chine active, déstabilisatrice, dans le pacifique-sud, hostile aux droits de l’Homme… avec cette dernière illustration, le 27 novembre 2021, aux Salomon, voisines du « Caillou » où la question « chinoise » génère des émeutes ? Rebond craint de la Covid-19 ? Le report souhaité n’a pas été obtenu, la consultation aura lieu légalement le 12 décembre 2021, mais, sans participation annoncée des indépendantistes, sa légitimité sera interrogée.
Le cadastrage de terres dont les Kanak avaient été spoliés par la colonisation, prévu par l’Accord de Nouméa, est en cours et a permis des achats et des attributions significatifs. Près de 1300 jeunes Kanak et 600 jeunes d’autre origine, tous volontaires, ont bénéficié de formations longues et pointues. Aucune des compétences aujourd’hui exercées ne sera jamais reprise, qu’il s’agisse de santé, d’enseignement, primaire, secondaire, professionnel ou adapté, du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle pour ne citer que ces exemples. L’enseignement supérieur et l’audiovisuel peuvent s’ajouter. Compétences des assemblées provinciales et pouvoirs propres de leurs présidents sont « inscrits dans le marbre ». L’unité du pays ne sera pas contestée, plusieurs établissements publics essentiels, comme l’Agence de Développement de la Culture Kanak (ADCK), ont été transférés. Ces acquis obligent l’Etat et tout habitant du « caillou ». Ils restent à approfondir : inégalités sociales, discriminations, violences, notamment celles subies par les femmes et les enfants, échecs scolaires, délinquance, inéquité fiscale et sociale exigent des efforts conséquents. La question du logement appelle une action en profondeur et une approche océanienne.
Dans sa récente déclaration de politique générale, le président du premier gouvernement collégial local à majorité indépendantiste depuis les Accords recensait les légitimes ambitions qu’il porte pour la Nouvelle-Calédonie, pour les descendants du peuple kanak colonisé, pour ceux des victimes de l’histoire, pour tous les habitants du pays.
Rompu aux négociations les plus ardues, monsieur Louis Mapou devait conclure son discours solennel par ces mots : « La construction de la case de cette Nouvelle-Calédonie, qu’on l’appelle Kanaky-Nouvelle-Calédonie ou qu’elle reste Nouvelle-Calédonie, avec des relations à redéfinir avec le gouvernement central, est une nécessité pour donner vie à un pays plus juste, plus prévenant, un pays responsable, prospère ». Y-a-t-il message de paix plus déterminé, plus juste et prometteur ? La décolonisation ne sera pas close le 12 décembre 2021. Les Calédoniens quels qu’ils soient, attendent des élus qu’ils ont choisis, toutes tendances réunies, un maintien constructif du dialogue.
Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH)
Gérard Sarda, président de la Ligue des droits de l’Homme et du Citoyen de Nouvelle-Calédonie (LDH-NC)
Le 7 décembre 2021