Pour la Journée internationale des droits humains jeudi, retrouvez l’interview croisée de Jean-Paul Benoit, président de la fédération de la Mutualité française (FMF), et de Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH)sur l’Humanité.fr
Expulsion violente des campements de Saint-Denis puis de République ouverture au compte-gouttes des ports aux bateaux de secours en Méditerranée, décret du 30 octobre restreignant la prise en charge des dépenses de santé des étrangers : la France a-t-elle un problème avec les réfugiés ?
Malik Salemkour Nous parlons de femmes et d’hommes qui au péril de leurs vies ont dû s’exiler, qui fuient des pays en guerre où règnent la violence et la misère, aspirant à retrouver la paix et l’espoir. La France est impliquée militairement dans les conflits du Moyen-Orient et d’Afrique et ne peut rester indifférente à leurs lourdes conséquences sur les populations civiles, particulièrement celles qui ont réussi à arriver en Europe et lui demandent asile. C’est un droit fondamental, internationalement reconnu et un devoir d’humanité. Partout où l’État a ouvert des centres d’accueil en France, cela se passe très bien. La solidarité est là, avec des élus locaux, des associations et des habitants accueillants. Mais le climat politique et médiatique est différent avec une déformation des réalités et des inquiétudes attisées par des idéologies nationalistes et xénophobes auxquelles les pouvoirs successifs ont cédé avec des lois durcissant toujours plus l’accès à l’asile et au séjour. Elles précarisent la situation de tous les étrangers en France et alimentent les voies irrégulières. Les associations humanitaires et de défense des droits dénoncent aussi des pratiques indignes comme à Calais, dans la Vallée de la Roya ou à Paris dernièrement avec des évacuations violentes de camps de fortune qui n’existent que par les insuffisances de structures d’accueil. Le problème reste celui d’un accès libre et effectif au droit d’asile et au séjour avec le respect des droits fondamentaux, avoir un toit, protéger les enfants, avoir un minimum de ressources et un accès aux soins particulièrement dans la dramatique crise sanitaire actuelle.
Jean-Paul Benoit Et je partage son constat : nous ne sommes pas face à une « crise des réfugiés », mais face à une crise de l’accueil des réfugiés. Et ce n’est pas la France, toute la société française, qui aurait un problème. Mais celles et ceux qui se mobilisent pour venir en aide aux réfugiés, pour leur trouver où dormir, puisqu’on en est là, pour leur donner accès aux soins, pour les accompagner dans le maquis réglementaire que 49 lois successives en 45 ans ont créé sont traînés devant les tribunaux comme si, par une nauséabonde inversion des valeurs, la solidarité était devenue un délit. Les mêmes ont été accusés par les autorités, à l’occasion du campement de fortune de la place de la République, de « faire de la mise en scène ». Mais la seule mise en scène dans toute cette histoire, ce sont les responsables politiques qui la font en faisant des réfugiés des boucs émissaires ! L’extrême-droite a réussi à imposer ses thématiques et ses fantasmes dans le débat public avec la complicité de dirigeants politiques cyniques et irresponsables. Ce qui nous amène à des politiques publiques proprement sidérantes. Le décret Castex-Véran du 30 octobre qui restreint la prise en charge des frais de santé des étrangers en apporte une nouvelle preuve. Ce texte écrit sans, bien sûr, consulter les corps intermédiaires, met en danger les enfants, les femmes et les hommes en situation d’extrême précarité en les privant concrètement du droit à la santé. Mais, par ricochet, il atteint aussi toute la société ; parce que restreindre l’accès à la santé d’une partie de la population a des conséquences sur l’ensemble. On devrait avoir compris ça à l’heure de la Covid !
Récemment chez nos confrères de Brut, E. Macron a récusé toute dérive autoritaire. Qu’en pensez-vous ?
Malik Salemkour La réalité est celle de son choix d’un présidentialisme exacerbé et l’affaiblissement de tous les contre-pouvoirs : le Parlement, la justice, les partenaires sociaux. L’Exécutif, avec les ministres et les préfets, a vu ses pouvoirs s’hypertrophier au fil des lois dans tous les domaines, au détriment des juges, des élus locaux et surtout des libertés publiques de toutes et tous. La gestion de la pandémie de la COVID est exemplaire avec la décision d’un état d’urgence sanitaire, alors qu’on avait déjà vécu au début du quinquennat un état d’urgence au nom de la lutte contre le terrorisme. Le Président décide seul avec un conseil de défense occulte et impose ses arbitrages annoncés dans les médias. E. Macron veut un dialogue direct avec les Françaises et les Français, comme il l’avait fait face à la crise des gilets jaunes avec le « grand débat national » ou face aux enjeux climatiques avec la conférence citoyenne pour le climat. Le Parlement, les élus, les forces politiques, les syndicats, les associations sont court-circuités ce qui affaiblit notre démocratie, la force du dialogue social et civil et ainsi la capacité à construire une délibération collective, travaillée avec toutes les parties prenantes pour un arbitrage éclairé et partagé. Or cette méthode autoritaire et infantilisante conduit à de fortes tensions, à des mouvements sociaux crispés, à des oppositions violentes et des opinions inconciliables avec en corollaire des réponses sécuritaires et de contrôles généralisés de toute la population. Le risque est grand de désespérer du politique, ouvrant la voie aux pires alternatives, l’extrême droite et les populismes sont aux aguets. L’apaisement est urgemment nécessaire qui passe par le retour d’une démocratie équilibrée, un état de droit garanti par l’équilibre des pouvoirs et la défense des libertés.
Jean-Paul Benoit Je crains que le chef de l’État ne vive dans un monde parallèle ! Un peu comme son collègue d’outre-Atlantique qui croit encore avoir gagné les élections. En Mutualité nous ne plaisantons ni avec la démocratie ni avec les libertés fondamentales. C’était d’ailleurs un des sujets de notre tout récent congrès à Brest. Vous savez, le monde mutualiste s’est construit, dans sa forme moderne, autour de l’idée démocratique à une époque, le Second Empire, où la France n’était pas une démocratie. C’est vous dire que ça vient de loin et que c’est ancré solidement dans les valeurs de notre mouvement. Et là, la dérive est visible à l’œil nu. Prolongeons l’exemple de la crise de la covid-19. Sa gestion par le gouvernement est exclusivement verticale, sans démocratie, sans corps intermédiaire et, même, sans le parlement, on l’a dit ! Elle repose sur l’opacité et est principalement fondée sur un « fais pas-ci, fais pas-ça » hebdomadaire infantilisant. Or, la démocratie n’est pas une élégance mais une méthode de gouvernement qui, en impliquant les personnes « gouvernées » en amont des prises de décision, permet que ces dernières soient éclairées de leurs expertises et de leur expérience. Et puis, pour lutter contre une pandémie, il ne suffit pas d’obéir à des règles de précautions. Il faut le faire mais ça ne suffit pas. Il faut que chacun se mobilise, adapte consciemment sa manière de vivre, ait la latitude de mettre en œuvre de nouvelles formes de solidarité. Injonction, infantilisation et stigmatisation ne fonctionnent pas, c’est la pandémie de Sida qui nous a appris ça. Quelle désolation de ne pas en avoir tiré la leçon.
Vous voilà bien sombres sur les droits humains au pays des Lumières…
Jean-Paul Benoit Malik Salemkour et moi, à des titres différents, sommes conscients des difficultés et partageons une préoccupation commune. Avec nous, j’en suis convaincu, bien des militantes et des militants, bien des organisations, bien des habitants de ce pays partagent le constat que nous avons brossé. Et si la situation est inquiétante, nous ne cédons pas à la fatalité. Nous avons aussi des raisons d’espérer et de tenir nos engagements solidaires et humanistes. Dans la période récente, nous avons, par exemple, travaillé avec des militants de la LDH, de Médecins du Monde pour préparer le congrès la Fédération des mutuelles de France en octobre dernier. Nous soutenons, depuis longtemps, le Secours Populaire, et d’une manière générale, nous participons à toutes les initiatives qui visent à respecter la dignité humaine, à valoriser l’entraide et la solidarité… Nous sommes convaincus que c’est, sur la base de ces valeurs communes, en échangeant, en se parlant et en agissant ensemble, que notre pays et ses habitants iront mieux !
Malik Salemkour La France est forte de ces citoyennes et citoyens. Bien sûr, il y a des peurs, des inquiétudes sur leurs conditions de vie, sur les perspectives, des colères contre les injustices et les inégalités qu’ils vivent. Mais les mobilisations collectives dans la rue ou sur les réseaux sociaux qui se multiplient sont porteuses d’espoir si on les écoute bien. Elles appellent à être acteur de son destin, à plus d’égalité, plus de justice, à des droits égaux pour toutes et pour tous. Toutes portent au cœur notre idéal républicain et appellent les dirigeants à le rendre concret partout et pour tous. Je pense également à cette jeunesse engagée pour l’avenir de notre planète contre le réchauffement climatique, contre le racisme, contre la pauvreté, pour l’égalité entre les femmes et les hommes, pour les droits des personnes LGBTI. Nous avons aussi tous vécu lors du premier confinement, la puissance de la solidarité avec des initiatives remarquables entre habitants d’un même quartier, d’une même ville quel que soit leur âge, leur origine, leur religion, leur fortune. Je reste donc optimiste. Il reste à traduire ses aspirations en projet commun dans une démocratie apaisée. La Déclaration universelle des droits de l’Homme offre un cadre fort pour l’éclairer. C’est à chacune et chacun d’y apporter sa pierre par son engagement et sa participation à ces débats dans la richesse de nos diversités. La FMF et ses membres avec l’expérience mutualiste ont avec la LDH à prendre toute leur place dans cet ambitieux chantier.
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