Lettre ouverte de l’Observatoire de la liberté de création, dont la LDH est membre
Mesdames, Messieurs,
Depuis 29 ans, « L’art dans les chapelles » invite des artistes à concevoir des œuvres dans des chapelles du pays de Pontivy et la vallée du Blavet (Morbihan, Bretagne).
Dans la nuit du 6 au 7 septembre l’œuvre d’Erik Samakh, La chapelle des ronces, a été entièrement détruite par un petit groupe de personnes qui avait annoncé ses intentions sur les réseaux sociaux. Ce groupe a totalement fait disparaître la pièce et l’a remplacée par deux grandes croix faites avec les bastaings qui protégeaient le bas des murs. Suite à cet acte de vandalisme, l’œuvre n’est plus accessible à la chapelle de la Trinité du Domaine de Kerguéhennec.
L’Observatoire de la liberté de création assure de son soutien les organisateurs de « L‘art dans les chapelles » qui ont choisi d’accueillir, comme c’est leur métier, une œuvre dans une programmation qu’ils assument et qu’ils accompagnent d’une médiation, pour ce projet comme pour tous les autres.
Il s’élève contre la destruction totale de cette œuvre qui constitue une atteinte à la propriété intellectuelle, celle-ci étant protégée par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il apporte également son soutien à l’artiste qui a très souvent exposé dans des chapelles, des abbayes, des cloîtres, ainsi que sur le territoire de la Bretagne.
Comme le rappelle la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) tout au long de sa jurisprudence : les œuvres sont libres, y compris de choquer, elles sont polysémiques et donc offertes au débat quant à leur interprétation. Dès lors qu’elles ne sont pas fondées sur un projet intentionnellement et explicitement discriminatoire, elles ne peuvent être censurées et évidemment encore moins être vandalisées ou même détruites. Non seulement, le blasphème n’est pas un délit mais, dans ce cas précis, il n’en est même pas question puisque l’artiste a pris soin de se renseigner pour savoir si cette chapelle est toujours consacrée ce qui n’est pas le cas.
Le rôle de l’Etat, comme des collectivités territoriales, est de faire respecter le double principe de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) : le droit pour chacun de prendre librement part à la vie culturelle, d’accéder librement aux œuvres et de jouir des arts ; ainsi que la protection des intérêts matériels et moraux des auteurs.
Dans une société démocratique, l’art est vital, non parce qu’il divertit ou console, mais parce qu’il permet de déplacer le regard et de questionner le rapport que chacun entretient avec le monde qui l’entoure. Chacun est libre de critiquer une œuvre ou pas, mais en toute connaissance de cause, c’est-à-dire en l’ayant vue.
L’Observatoire de la liberté de création demande donc à ce que le parquet ouvre une enquête pour vandalisme et destruction de bien appartenant à autrui. Si nous sommes attachés à la liberté de manifester, nous ne pouvons ni comprendre ni tolérer l’empêchement du public à accéder à une œuvre quel qu’en soit l’auteur et surtout sa destruction dans un lieu ouvert au public. Le respect de la liberté de création est essentiel pour la démocratie. Il est urgent de protéger les œuvres, les artistes et les programmateurs dans un pays qui doit porter haut la liberté de création, d’expression et de diffusion de l’art comme de la pensée.
Nous vous prions de croire, Mesdames, Messieurs, en l’expression de nos salutations distinguées.
Paris, le 29 septembre 2020