Lettre de l’Observatoire de la liberté de création
Monsieur le Préfet,
En refusant, par arrêté du 3 avril, que des enfants interviennent dans le spectacle de Romeo Castellucci, « Sur le concept du visage du fils de Dieu », vous avez gravement amputé un spectacle qui, depuis 2011, a été joué dans toute l’Europe. Cette censure, sous couvert de protection des mineurs, fait bon marché de la vigilance des parents et des précautions que Romeo Castellucci et son équipe prennent pour préparer les enfants. Si les craintes que vous agitez pour la « santé » et la « moralité » des enfants étaient fondées, des centaines de victimes auraient été traumatisées depuis sept ans que ce spectacle tourne. Heureusement, ceux qui ont eu l’occasion de voir le spectacle non censuré savent que les craintes que vous invoquez pour interdire une scène où des enfants lancent des grenades en plastique – et non des « bombes », comme dit votre arrêté, sont infondées.
Vous ne pouvez ignorer que ce spectacle a une histoire et que depuis 2011, des groupes politico-religieux ont jeté leur dévolu sur lui pour multiplier les coups d’éclat. Vous ne pouvez ignorer que les activistes intégristes qui ont tenté d’interrompre le spectacle, à Paris, ont été condamnés par la justice pénale. Vous ne pouvez ignorer que votre décision intervient après une manifestation d’une poignée d’activistes de l’Action française et du Front national contre le spectacle, et qu’elle offre à ces groupes la victoire qu’ils attendaient depuis des années et dont les tribunaux les ont toujours privés. Ils n’ont d’ailleurs pas tardé à s’en vanter : de nombreux sites intégristes et d’extrême droite (Medias-presse.info, Civitas, Action française) se sont félicités que « le préfet de la Sarthe » leur « donne raison » en faisant retirer « une séquence blasphématoire ».
Vous ne pouvez ignorer que la loi a affirmé le principe de liberté de création et de diffusion des œuvres en 2016 et constitué en délit le fait d’empêcher cette libre diffusion. En tant que représentant de l’Etat, vous avez failli à la mission que la loi vous impose en usant du recours à la protection de l’enfance pour abonder dans le sens de ces groupuscules demandant la censure de l’œuvre pour des raisons religieuses.
L’Observatoire de la liberté de création apporte son entier soutien à Romeo Castellucci qui, s’adressant aux spectateurs manceaux, parle « d’une offense à l’intelligence critique des adultes et des enfants ».
L’Observatoire prend bonne note que deux ministres ont, depuis, apporté leur soutien à Romeo Castellucci et aux Quinconces-L’Espal du Mans. Si ce soutien contribue à restaurer la crédibilité de l’Etat que vous avez compromise par une décision aussi inconsidérée, le mal est néanmoins fait.
Vous comprendrez que nous rendions cette lettre publique.
Nous vous prions de croire, monsieur le Préfet, à l’expression de nos sentiments choisis.
Paris, le 20 avril 2018
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