Communiqué commun :
Les défaillances structurelles et procédurales du PCN limitent l’efficacité de son mécanisme de règlement des différends, en cas de violations des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales.
Aussi le PCN ne fait aujourd’hui quasiment plus l’objet de saisines par des ONG, faute d’apporter des réponses concrètes aux situations des victimes de violations des droits humains par des entreprises.
Nous formulons un appel urgent à une réforme du PCN pour renforcer l’efficacité de son mécanisme de plainte et ainsi restaurer la confiance de toutes les parties prenantes et la légitimité du mécanisme.
A cette fin, le PCN doit se mettre rapidement en conformité avec les principes de visibilité, d’accessibilité, de transparence, de responsabilité, d’impartialité, de prévisibilité et d’équité, qui doivent guider ses activités.
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Lettre ouverte au ministre de l’Economie et au président du Point de contact national français (PCN) de l’OCDE, sur les défaillances de ce mécanisme.
Monsieur le Ministre, Monsieur le Président du PCN,
En adhérant aux Principes directeurs de l’OCDE, l’État français s’est engagé à créer un Point de Contact National (PCN) qui contribue à la diffusion et à l’efficacité de ces Principes. Le PCN devrait pour cela bénéficier de la confiance de la société civile. Celle-ci joue en effet un rôle d’information et de critique essentiel au fonctionnement du PCN. En particulier, les ONG peuvent se faire le relai, pour les consommateurs ou les investisseurs, de l’information concernant les Principes directeurs et de leur respect par les entreprises. En tant qu’acteurs de terrain, experts ou représentants des victimes, elles participent également de la crédibilité des circonstances spécifiques.
Les organisations de la société civile signataires considèrent que le PCN français a le potentiel pour devenir un mécanisme efficace de remédiation non judiciaire1. C’est pourquoi elles ont longtemps participé aux travaux du PCN et lui ont soumis plusieurs circonstances spécifiques. Un tel mécanisme est complémentaire des voies judiciaires pour assurer pleinement l’accès à la justice des victimes d’atteintes aux droits humains par les entreprises.
Néanmoins, les ONG françaises se sont aujourd’hui détachées du PCN français. Elles se sont notamment désintéressées de la procédure des circonstances spécifiques. En 2016 et 2017, les nouvelles saisines ont été portées par des syndicats et non par des ONG. Certaines organisations syndicales ont ellesaussi renoncé à utiliser le mécanisme. Cette situation est née d’un constat partagé par diverses organisations: les modalités institutionnelles et la procédure de circonstance spécifique du PCN français permettent difficilement d’aboutir à des réparations pour les victimes. Un constat similaire est fait à l’échelle internationale. Aussi la coalition OECD Watch a-t-elle lancé en novembre 2017 une campagne « Remedy is the Reason. Effective NCP’s Now », visant à améliorer l’efficacité des PCN dans le traitement des circonstances spécifiques
Par le passé, nos organisations ont formulé des demandes d’améliorations essentielles, qui ont trouvé écho chez d’autres parties prenantes, dont la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), mais qui demeurent aujourd’hui lettre morte. La prise en compte de ces propositions saurait réaffirmer l’importance et la crédibilité du PCN français, accroître sa compatibilité avec les exigences des Principes directeurs de l’OCDE et surtout restaurer la confiance des victimes et des organisations notamment dans le cadre des circonstances spécifiques.
1) Composition et gouvernance: la configuration actuelle du PCN ne garantit pas son impartialité notamment dans le cas d’une circonstance spécifique visant une entreprise publique.
Aussi est-il urgent de réfléchir à une réforme des modalités institutionnelles PCN. Celle-ci devrait garantir une distance suffisante entre le PCN et le Ministère de l’Economie. Cette réforme pourrait prendre exemple sur les PCN norvégien, danois et néerlandais, dont les membres sont des experts indépendants.
Une réflexion doit également être menée sur la façon dont les organisations de la société civile et notamment les ONG, pourraient être mieux intégrées dans le processus de gouvernance du PCN, afin de restaurer la confiance de ces parties prenantes. Les réunions annuelles d’information avec la société civile ne remplissent pas cet objectif car elles ne représentent pas de réelles opportunités de participation.
Cette demande ancienne n’a toujours pas fait l’objet d’un traitement approfondi, alors qu’au contraire, le PCN s’est saisi dès sa première Revue par les Pairs du débat sur la représentativité du secteur privé au sein de ses membres.
2) A cet égard, le PCN devrait également mieux équilibrer ses activités d’information et de promotion. En effet, la conclusion récente de partenariats avec des organisations proches du monde des entreprises ne peut qu’éveiller les inquiétudes des ONG et des victimes quant à la capacité du PCN à traiter des circonstances spécifiques de façon impartiale. Un partenariat avec la CNCDH pourrait être envisagé.
3) Ressources : le PCN devrait être doté de plus amples ressources humaines et financières pour maintenir et améliorer son niveau d’activité et notamment, travailler simultanément sur plusieurs circonstances spécifiques, mener des enquêtes approfondies, garantir la participation de toutes les parties concernées lors de l’examen d’une circonstance spécifique, en conformité avec le principe du traitement équitable, résoudre chaque circonstance spécifique dans le délai recommandé d’un an et afin d’assurer le suivi des recommandations.
4) Procédure des circonstances spécifiques: une procédure et un calendrier plus exhaustifs devraient être établis pour les circonstances spécifiques afin d’améliorer la transparence et la prévisibilité des saisines. La procédure devrait viser la participation systématique, dans le respect du principe du contradictoire, de toutes les parties concernées par la saisine. Il serait également vivement souhaitable de réformer la procédure des circonstances spécifiques afin de prévenir les conflits d’intérêt objectifs comme subjectifs et afin que les procédures soient systématiquement menées par des experts et médiateurs professionnels indépendants.
5) Application des Principes directeurs : afin que le PCN remplisse un véritable rôle institutionnel permettant aux plaignants d’obtenir des résultats autres qu’une simple négociation bilatérale, il est important que le PCN exige le respect des principes directeurs de l’OCDE de façon ferme dans ses communiqués et qu’il appelle au respect de ses recommandations.
Le PCN devrait pouvoir faire preuve de plus d’ambition dans le traitement des saisines, notamment en ce qui concerne les remédiations pour les victimes et les conséquences médiatiques pour les entreprises contrevenantes. En particulier, il devrait être envisagé de renforcer la transparence et la visibilité des circonstances spécifiques. Le PCN pourrait par exemple organiser des conférences de presse pour augmenter la visibilité de ses communiqués et rapports.
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Ces demandes sont conformes, d’une part, aux critères généraux de visibilité, d’accessibilité, de transparence et de responsabilité établis par les lignes directrices de procédure applicables aux PCN. D’autre part, elles visent à respecter les exigences d’impartialité, de prévisibilité, d’équité et de compatibilité avec les principes et standards de l’OCDE applicables au traitement des circonstances spécifiques. Elles permettraient également d’aligner le PCN sur les exigences des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme concernant les mécanismes de remédiation non judiciaires.
Enfin, les signataires relèvent que le PCN a très récemment été saisi par une ONG mexicaine et une communauté autochtone, d’une circonstance spécifique visant la société EDF.
Première circonstance spécifique portée par une ONG depuis 2015, nous espérons que le PCN y verra une occasion de restaurer la confiance de la société civile et prendra à cette fin toute la mesure des enjeux mentionnés dans le présent courrier. Une attention toute particulière devra être portée à la question de l’impartialité du PCN en raison de la structure actionnariale de l’entreprise visée. Aussi les organisations signataires suivront-elles de près le traitement accordé à ce dossier et appellent le PCN à assurer impartialité, équité, accessibilité, transparence et participation de toutes les parties à la procédure.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération
A Paris, le 30 mars 2018
Liste des signataires :
Birthe Pedersen, présidente ActionAid France
Swann Bommier, CCFDTerre Solidaire
Guillaume Duval, président Collectif Ethique sur l’étiquette
Maddalena Neglia, FIDH
Jean-François Julliard, directeur-exécutif, Greenpeace France
Joseph Wilde-Ramsing, coordinator OECD Watch
Sandra Cossart, directrice Sherpa
Malik Salemkour, président Ligue des droits de l’Homme
Lysiane André, Présidente, Terre des Hommes France
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