Sortie le 28 mars 2018
Après l’ombre est le troisième documentaire de Stéphane Mercurio sur le monde carcéral. Nous lui devons déjà A côté et A l’ombre de la République.
Ce film nous plonge au cœur d’une aventure humaine sans pareille : la création d’une pièce de théâtre avec quatre anciens « longues peines » et la compagne de l’un d’eux, qui évoquent leurs souvenirs de cette période d’incarcération, sous la direction pleine d’empathie du metteur en scène Didier Ruiz. La réalisatrice les accompagne depuis les premiers entretiens avec Didier Ruiz jusqu’au début de la première à la Maison des Métallos, que nous suivons des coulisses.
Réquisitoire implacable et bouleversant contre notre système carcéral, ce documentaire est aussi une ode magnifique au théâtre. Tourné à la Maison des Métallos et dans d’autres endroits où la « troupe » est en résidence, il alterne moments de répétition proprement dits, discussions dans le groupe que l’on voit exister de plus en plus fortement, et moments d’apprentissage et de pause, parfois magiques, comme ce séjour près d’un lac, où l’espace, les arbres, le vent, semblent faire écho à leur liberté retrouvée.
Dès les premières minutes du film, nous sommes saisis d’une profonde émotion, où gronde la colère : personne à la sortie pour aiguiller Alain « J’étais perdu… », permissions refusées à André pour un dernier adieu à sa mère, son père, son frère, 9 ans d’isolement pour Eric, pendant lesquels il ne parle quasiment pas…
Petit à petit, les « longues peines » disent « l’impensable », « l’indicible », « l’inimaginable » selon les mots de Didier Ruiz. La prison détraque tout et s’inscrit dans les corps. En écho, le douloureux sentiment d’impuissance d’Annette, compagne de Louis, son expérience frustrante des parloirs, ses efforts pour protéger leur fils. Aucun tabou dans ce que racontent ces hommes, qui se mettent à nu avec une dignité remarquable. « Est-ce que tout cela (ce qu’ils ont vécu en prison) est nécessaire ? » s’interroge le metteur en scène. Sa réponse : « Bien-sûr que non » – « C’est vraiment du salut public, de vous entendre ».
Le documentaire ne nous montre pas la totalité du spectacle, mais ce que nous en voyons, devinons, est en lien étroit avec les interrogations et combats de la LDH et d’autres d’associations à propos de la politique carcérale, comme le rappelle la lettre ouverte aux parlementaires du 19 février dernier.
Ce film est aussi un témoignage extraordinaire sur la puissance du théâtre et la naissance, sous nos yeux, d’un vrai groupe. Si certains, au début, ont quelque réticence à « faire confiance », bientôt existe un véritable compagnonnage, une réelle solidarité, et les regards s’adoucissent, éclatent les rires, fusent les plaisanteries. Quelques moments particulièrement émouvants : ils fêtent l’anniversaire d’André, qui ne se souvient pas de l’avoir jamais célébré de la sorte ; ils évoluent sous la direction d’un professeur de danse, s’abandonnent à des mouvements souples, déliés. La confiance entre eux est telle, alors, qu’Eric peut dire qu’il ne supporte pas d’être touché car le toucher, en prison, signifie violence…
Bien entendu, cette transformation est due au talent de Didier Ruiz, à son engagement, sa qualité d’écoute, sa délicatesse, et son équipe est au diapason. Superbe hommage au théâtre, qui permet à ces hommes et femme cabossés de reprendre confiance, de libérer leur parole. A la fin du documentaire, ils s’interrogent comme des comédiens professionnels sur leurs placements, entrées, sorties.
« Je n’ai jamais rien fait d’aussi politique… Ça sert à ça, le théâtre », leur confie Didier Ruiz, « vous m’ouvrez des espaces de pensée. »
Ce film remarquable qui s’attarde souvent avec douceur sur les visages, les regards, ouvre, lui aussi, des espaces de pensée… Un film à voir absolument, qui permettra sans aucun doute des débats passionnants.
Thématiques du film : prison, réinsertion, théâtre.
Durée : 93 minutes
Réalisation : Stéphane Mercurio
Distribution : Docks 66