Lettre de l’Observatoire de la liberté de création
Paris, le 26 janvier 2018
Monsieur le Maire,
L’Observatoire de la liberté de création, créé en 2002 au sein de la Ligue des droits de l’Homme, a pris connaissance du courrier que vous avez adressé le 19 janvier 2018 à l’association Les Escales, et de la déprogrammation du concert de Bertrand Cantat.
Dans ce courrier, vous vous déclarez attaché aux grands principes, mais c’est pour aussitôt les méconnaître.
Vous ne pouvez regretter découvrir la programmation de ce festival par voie de presse et déclarer respecter la liberté de celle-ci. Aussi, nous ne comprenons pas comment vous entendez respecter la liberté de création et de programmation qui sont, nous en sommes d’accord, « des piliers essentiels pour favoriser l’ouverture aux autres ».
Vous exprimez votre « totale désapprobation quant à la programmation de ce concert ». Mais il ne s’agit pas d’un simple avis, que vous êtes certes parfaitement libre d’exprimer. Car en rendant publique votre désapprobation, en rappelant que vous financez le festival, en prétendant vouloir protéger la paix civile (rien que cela ?) et en émettant publiquement une critique de fond sur l’ensemble de la programmation, histoire de faire planer une menace sur la suite de cette manifestation, vous créez une pression à laquelle le festival n’a pas pu résister.
Vous vous dites « attaché à ce que les personnes condamnées et ayant exécuté leur peine retrouvent pleinement la vie de la cité », ce qui est la moindre des choses, mais vous considérez néanmoins que le concert de Bertrand Cantat constituerait un danger pour le « maintien de la paix civile », sinon pour les droits des femmes, leur vie et leur sécurité ! Mais comment un artiste peut-il participer à la vie de la cité mieux que par ses concerts ? Et comment y parviendra-t-il si tous les maires de France adoptent la même attitude ? Non, monsieur le maire, il ne s’agit pas de « protéger les droits des femmes », que ce concert ne met nullement en danger, mais de condamner à nouveau et à perpétuité, en lieu et place des juges et par la seule intimidation des acteurs culturels concernés, quelqu’un qui a déjà purgé sa peine. Aucun crime — et nous sommes bien d’accord sur la gravité exceptionnelle de celui pour lequel Bertrand Cantat a été condamné — ne justifie ce qui s’apparente à une condamnation à la mort civile sans terme ni rémission.
L’association Les Escales a annoncé la déprogrammation de Bertrand Cantat suite à la désapprobation de « plusieurs personnes des sphères publiques et privées ». Devant les réactions, vous avez aussitôt précisé que les pressions ne venaient pas de la mairie de Saint-Nazaire et « qu’il n’a jamais été question que la ville de Saint-Nazaire modifie sa subvention aux Escales en raison de leur décision ». Cet engagement sera sans doute de nature à rassurer les organisateurs. Mais il ne suffit pas. Face aux pressions qui ont motivé la déprogrammation, la mission des collectivités locales, selon la loi 2016-925 du 7 juillet 2016, consiste également à
« garantir la liberté de diffusion de la création et des expressions culturelles, en mobilisant notamment le service public des arts, de la culture et de l’audiovisuel ». Il est de votre devoir de garantir l’ordre public contre toutes les pressions publiques et privées à l’occasion de ce concert et de permettre qu’il soit à nouveau programmé dans les meilleures conditions.
Votre lettre ayant été publique, vous comprendrez que la nôtre le soit également.
Nous vous prions de croire, monsieur le Maire, à l’expression de nos sentiments choisis.
Jean-Claude Bologne, co-délégué de l’Observatoire
Agnès Tricoire, co-déléguée de l’Observatoire
Daniel Véron, co-délégué de l’Observatoire
Christian Hazebrouck, délégué régional du comité régional LDH Pays de la Loire
Henri Julien Castel, président de la section LDH de Saint-Nazaire