EDITORIAL
Le film d’Alexeï Outchitel, Matilda, narre l’histoire de l’amour entre le dernier tsar Nicolas II et Mathilde Kschessinska, danseuse décédée à Paris en1971. Tous les ingrédients du romanesque y sont donc présents : grande histoire, coulisses du pouvoir, passion. Pourtant – ou à cause de cela – le film provoque une vague de protestations en Russie avant même sa sortie nationale prévue le 26 octobre. Protestations accompagnées d’actes de violence : cocktails Molotov lancés contre le studio où a été réalisée une partie du film, explosion d’une camionnette aux portes du cinéma Kosmos d’Iekaterinbourg, voitures incendiées porteuses du message « Brûlez pour Matilda » devant le bureau de l’avocat du réalisateur, menaces d’incendies à l’encontre des cinémas ayant programmé le film. Résultat : la diffusion du film prévue dans les deux plus grands réseaux de salles est annulée.
Ce déchainement a été condamné par le Kremlin. Mais le gouvernement, en protégeant son alliance avec les mouvements des radicaux orthodoxes, laisse aux autorités locales le choix de la diffusion du film en prenant en compte « les traditions et les coutumes des peuples présents sur leur territoire ». C’est que Matilda va à l’encontre d’une certaine vision mainstream de l’histoire. Son portait du tsar, canonisé en 2000 en tant que martyr, est jugé « amoral » et « blasphématoire ».
La Russie n’est pas le seul pays en Europe orientale et dans l’espace post-soviétique où se développent ces croisades autour de l’histoire et de la mémoire du passé. Instrumentalisées, parfois spiritualisées, histoire et mémoire sont aujourd’hui le cheval de bataille des politiques des gouvernements à l’Est. Elles donnent des clés de compréhension de la formation, de la cristallisation et/ou la poursuite des « identités nationales » sur lesquelles s’appuient les gouvernements, identités exclusives et souvent xénophobes. La présente Lettre offre aux lecteurs un panorama des usages publics et des instrumentalisations politiques du passé dans cette région du monde.
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