Lettre ouverte du collectif Alerte, dont la LDH est membre, appelant à la mise en place de mesures effectives pour éradiquer la pauvreté en France
Monsieur le Président de la République,
Depuis plusieurs semaines, les associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale ont eu l’occasion de rencontrer vos conseillers en charge de cette question. Monsieur le Premier ministre nous a reçues le 21 septembre pour débuter une phase de pré-concertation portant sur la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes. Nous nous félicitons du démarrage de cette concertation que nous avions demandée.
Au moment où débute cette procédure que nous appelions de nos vœux, il nous a semblé nécessaire d’exprimer, par écrit, notre analyse de la situation de notre pays et les objectifs que nous souhaiterions mettre en avant dans une politique active d’inclusion.
Le 17 octobre 1987, en présence de Simone Veil, la Dalle en l’honneur des victimes de la misère fut inaugurée, sur le parvis des Droits de l’Homme, au Trocadéro. En effet, la grande pauvreté est une violence faite aux personnes qui la subissent et une violation des droits humains. Trente ans plus tard, il est temps d’en finir en France avec la pauvreté. La France s’est engagée à atteindre les Objectifs de Développement Durable qui guident la communauté internationale jusqu’en 2030. Par là même elle doit donc les mettre en œuvre dans ses politiques publiques, nationales et internationales, en commençant par l’Objectif 1 visant l’éradication de la pauvreté (éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde). Dans ce cadre, le 17 octobre 2017, Journée internationale pour l’élimination de la misère, serait une belle date pour que vous annonciez le lancement d’une stratégie globale ambitieuse afin d’en finir avec l’exclusion des plus pauvres, et un engagement d’y travailler avec les personnes concernées, avec nos organisations et avec l’ensemble de la société civile.
Aujourd’hui, nos organisations, rassemblées dans le collectif Alerte, dédié à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion et pour la mise en œuvre de la loi de 1998, sont inquiètes. Dans votre discours au Congrès, vous avez souligné la nécessité d’une « vraie politique d’inclusion de tous », et nous nous en sommes réjouis.
Mais plusieurs décisions annoncées récemment (baisse des APL, diminution des contrats aidés sans évaluation préalable avec les personnes concernées, suppression du financement de l’équivalent de 12 000 logements très sociaux,…) vont avoir un impact négatif immédiat pour les plus exclus alors même qu’une stratégie d’ensemble pour l’inclusion de tous n’a encore été mise en œuvre.
Des millions de personnes dans ce pays vivent dans des conditions très difficiles. Des droits fondamentaux tels que le logement, l’éducation, l’accès à la culture, à des ressources suffisantes, au travail et à la formation sont bafoués. Cette réalité n’est pas nouvelle et il faut un effort d’ensemble durable pour y mettre fin. Notre société a besoin de retisser les liens, de renforcer notre capacité à prendre soin les uns des autres. Comme une maison, notre société se reconstruira à partir du bas, en prenant en compte les capacités et les besoins des plus fragiles. Tout ce qui est fait pour les plus pauvres bénéficie à l’ensemble de la société. A l’inverse, une reprise de la croissance ne bénéficie pas automatiquement aux plus pauvres. Dans la réalité, la pauvreté ne diminue pas sans un effort ciblé pour l’éradiquer.
En cette période de rentrée politique, nous voulons rappeler quelques principes qui nous paraissent essentiels pour une politique visant l’inclusion de tous.
Trois principes guident nos propositions d’une stratégie globale pour un nouveau Pacte social contre la pauvreté et l’exclusion :
– ne laisser personne de côté ;
– réaliser l’accès de tous aux droits de tous ;
– associer les personnes en précarité à la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques et ainsi s’appuyer sur l’intelligence de tous.
Pour une stratégie de lutte contre la pauvreté, qui pourra mobiliser de nombreux acteurs, huit conditions sont, aux yeux des associations, nécessaires :
– ne pas organiser des reculs dans la protection sociale : baisse des APL pour des personnes aux revenus modestes, diminution des emplois aidés sans les remplacer par d’autres mesures d’accès à l’emploi pour les plus exclus, éventuel gel du RSA, risques de remise en cause de l’accueil inconditionnel dans les accueils de jour et les dispositifs d’hébergement, traitements indignes et dégradants pour les exilés,…
– appliquer le principe d’accueil inconditionnel dans l’hébergement sur l’ensemble du territoire et favoriser l’accès direct au logement des plus exclus ;
– respecter pleinement la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et ainsi assurer la protection effective des mineurs non accompagnés quelle que soit leur origine ;
– permettre à tous d’avoir effectivement accès aux droits existants. L’objectif de « zéro non recours aux droits sociaux ou prestations sociales » devrait être fédérateur ;
– s’accorder sur des indicateurs de réussite de la stratégie globale, et la prise en compte dans toutes les politiques publiques et projets de loi de leurs impacts sur les plus pauvres (en termes de revenus et conditions de vie). Prévoir une évaluation régulière de ces politiques ;
– réfléchir et agir avec les personnes vivant la pauvreté. La pratique de la participation doit absolument être au cœur des réflexions et décisions publiques ;
– assurer un pilotage territorial permettant la mobilisation des acteurs ;
– dégager les moyens financiers nécessaires à leur inclusion dans la loi de finances 2018.
Certaines des mesures évoquées par le gouvernement rejoignent nos préoccupations et doivent être mises en œuvre en leur accordant les moyens nécessaires et en misant sur l’innovation et la libération d’énergies. Nous les avons déjà précisées à nos interlocuteurs lors de nos rencontres. Il s’agit essentiellement :
– de l’accès aux droits pour tous et la lutte contre le non recours;
– du Plan de rénovation des passoires énergétiques ;
– de l’engagement à développer le Principe du logement d’abord ;
– d’un engagement pour lutter contre la pauvreté des enfants, des jeunes et des familles ;
– d’un Plan d’investissement pour financer le développement des compétences et faciliter l’accès à l’emploi des jeunes et des chômeurs peu qualifiés ;
– de l’engagement que plus personne ne soit à la rue ;
– du renforcement de l’accompagnement pour les personnes en situation de précarité : référent de parcours, premier accueil, Maisons des droits ;
– de l’engagement de permettre l’accès de tous à la santé.
Pour que la stratégie de lutte contre la pauvreté ait des chances d’avoir des résultats, il faut qu’un ensemble de politiques et de mesures soit adopté. Il peut se déployer par étape, avec des priorités renforçant une approche d’investissement social pour co-construire l’avenir avec le secteur associatif et les personnes en situation de pauvreté ou d’exclusion.
Cette stratégie doit nécessairement être pluridimensionnelle et interministérielle ; nous demandons, forts de l’expérience des gouvernements précédents, qu’elle soit conduite sous l’autorité directe du Premier ministre conduisant le Conseil Interministériel de Lutte contre l’Exclusion (loi de 1998) car ce sont à la fois des leviers dans les domaines de l’emploi, du logement, de la santé, des ressources, de l’accès aux droits… qui doivent être mobilisés.
Alerte a présenté les contours d’une stratégie de lutte contre la pauvreté dans une plateforme à l’occasion de l’élection présidentielle. Elle a été remise aux personnalités que nous avons déjà rencontrées. Elle est jointe à ce courrier. Nos organisations vous confirment qu’elles vont participer collectivement avec les pouvoirs publics à la réflexion permettant l’élaboration des mesures pour en finir avec la pauvreté.
Dans l’espoir de vous voir affirmer concrètement, le 17 octobre, une volonté politique d’éradiquer la pauvreté en France, et un calendrier pour avancer, nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, à l’expression de notre profond respect.
Paris, le 26 septembre 2017
Télécharger la lettre au format PDF