Sortie en avril 2017
« Les personnages sont fictifs mais les méthodes de management sont réelles » annonce dès le générique ce film consacré aux rapports de domination dans l’entreprise et à l’institutionnalisation de la souffrance au travail.
Emilie Tesson-Hansen, qu’on découvre très vite dans le cadre strict, courtois mais déterminé, d’une évaluation comportementale, est une jeune et brillante gestionnaire des Ressources humaines (remarquablement interprétée par Céline Sallette), responsable du service financier au siège d’une grande société multinationale. Elle est considérée comme une « killeuse » devant pousser une partie des salariés à s’en aller d’eux-mêmes pour éviter de les licencier. Suite à un drame dans son service, avec le suicide par défenestration d’un membre de son équipe qu’elle cherchait à faire démissionner, une enquête est ouverte. Elle se retrouve en première ligne. Elle doit faire face à la pression de l’inspectrice du travail (Violaine Fumeau), mais aussi à sa hiérarchie (notamment le DRH, interprété par Lambert Wilson) qui menace de se retourner contre elle. Emilie est bien décidée à sauver sa peau. Jusqu’où restera-t-elle ‘‘corporate’’, c’est-à-dire totalement dévouée à son entreprise ?
Pour réaliser son premier long-métrage, avec son coscénariste Nicolas Fleureau, le réalisateur a analysé des fonctionnements d’entreprises, assisté à des stages de formations de DRH, s’est entretenu avec des inspecteurs du travail, après avoir découvert « qu’un certain système de ‘‘management par la terreur’’ pouvait réellement détruire des vies et des individus », suite à la vague de suicides chez France Telecom où il fut particulièrement choqué par « le cynisme du PDG déclarant qu’il fallait mettre un terme à cette ‘‘mode du suicide’’… comme si c’était ceux qui souffrent qui étaient responsables… »
« Corporate » associe la rigueur et la précision de l’investigation documentaire à la force émotionnelle de la fiction, sur un sujet sensible qui affecte, à des degrés divers (stress, harcèlement moral, souffrances psychiques, ‘burn out’…) des millions de salariés et leurs proches. Ce film arrive au bon moment, avec l’attention croissante portée aux pathologies qui pourraient être évitées, en amont du soin, par une politique de prévention publique contre l’ensemble des déterminants ‘‘environnementaux’’ de la santé (notamment au travail) ; un thème qui a même un peu émergé pour la première fois dans la campagne électorale des présidentielles. Ce film est au cœur de l’actualité après la publication de plusieurs études récentes montrant un accroissement des “risques psychosociaux” avec près d’un quart des salariés affectés sous des formes diverses, tandis que les conséquences de modalités pathogènes d’organisation du travail continuent à affecter aussi lourdement le secteur public avec les suicides constatés à la Poste (une cinquantaine en 2016 !), dans la police, les hôpitaux… et encore le 11 mars 2017 à la SNCF !
Un film instructif et lanceur d’alerte, de grande qualité filmique, tout aussi stimulant dans son domaine que celui de Gilles Perret « La sociale » pour débattre avec un large public.
Corporate
Film, 2017
Durée : 1h35
Réalisation : Nicolas Silhol
Distribution : Diaphana