Sortie le 15 avril 2015
Les films de Jafar Pahani ont tous été couverts de prix dans les plus grands festivals internationaux. Ce film n’a pas de générique : il n’a pas été validé par le ministère de l’Orientation islamique. Il faut dire que depuis 2010, le réalisateur a reçu interdiction de tourner des films et de quitter l’Iran, sous peine de six ans de prison. D’ailleurs il a déjà été emprisonné.
Alors il pose une caméra dans sa voiture et joue à faire le taxi, racontant une matinée à rouler dans Téhéran. La traversée est variée et parfois burlesque. Il prend des clients, rencontre des amis, va chercher sa nièce à la sortie de l’école. Il fait ainsi le portrait d’une ville de machos, de voleurs, de petits trafiquants de vidéos interdites, de vieilles acariâtres et superstitieuses, d’épouses plus soucieuses du testament de leur mari que de son état de santé. Avec aussi des personnages positifs : une institutrice qui se déclare opposée à la peine de mort, et une amie avocate militante des droits de l’Homme. Il s’agit de Nasrin Sotoudeh, une proche de Shirin Ebadi ; elle joue son propre rôle, comme Jafar Pahani : emprisonnée, elle a fait plusieurs grèves de la faim et a été interdite d’exercice. Mais c’est une jeune femme rieuse, qui porte un grand bouquet des roses bien-aimées des Persans.
Le prétendu chauffeur de taxi règne sur son petit peuple avec bienveillance. Mais sans aucune illusion : il va rendre aux vieilles le porte-monnaie qu’elles ont oublié et, comme récompense, se fait voler sa voiture.
La petite nièce est munie d’une caméra : elle doit faire un film pour un concours scolaire et elle cherche un sujet. On lui a donné les règles à respecter – aucune critique, aucun réalisme, et quand il n’y a plus de règles, pratiquer l’autocensure. Ce qui fait que quand elle filme la conversation entre son oncle et l’avocate, qui ne risque pas d’être diffusable, elle fait un film dans le film, véritable mise en abyme.
Jafar Pahani dit que tous les sujets de bons romans et de bons films sont déjà pris. Pour trouver encore un bon sujet, il faut aller le chercher. C’est ce qu’il fait : le monde vient à lui, malgré cette gageure de ne filmer que dans son taxi, et c’est ce que comprend la petite fille. Merveilleux pied de nez à la censure, et réflexion subtile sur le cinéma.
D’ailleurs parmi les films illicites, vendus à la sauvette, il y a peut-être les siens.
On peut espérer que cette vitalité et cette intelligence iraniennes auront raison de l’obscurantisme et de la censure.
Taxi Téhéran
Fiction, Iran, 2015
Durée : 1h22
Réalisation : Jafar Pahani
Distribution : Memento Films