Sortie le 22 janvier
Nous sommes à Paris, la nuit, une nuit étincelante des lumières et de la beauté admirable des quais et du centre de la ville déserte. On aperçoit des paquets allongés sur les trottoirs, un solitaire sur un pont qui pousse un chariot comme un escargot porte sa coquille, une silhouette qui s’engloutit dans le trou du mur d’un tunnel comme un rat. C’est là le bout du monde, ce secret qui rend la beauté obscène.
Claus Drexel a passé un an à filmer les clochards. Il les montre non comme une catégorie générale mais comme des individus singuliers qui ont un nom, une histoire, un récit, un discours, et qui sont eux-mêmes d’une grande diversité. L’une dans sa folie douce, l’autre dans ses considérations philosophiques ; celui qui, très organisé, possède tente, bagages et linge propre, et celle qui dort assise, sous une ou deux couvertures, même quand il neige, contre la grille du Jardin des plantes ; celui qui va être viré, au bout de vingt-trois ans, du joli petit squat éclairé à la bougie qu’il occupe sous le pont Louis-Philippe ; le Roumain qui dort sous un pont et trouve que « la France, c’est mieux » ; celui qui vit dans un tunnel et trouve sa cabane « tranquille et belle », celui qui va nu et nu-pieds sous une couverture, alors qu’il pleut, sur la plus belle avenue du monde. Il y a des pauvres et des riches, certains peuvent peut-être s’en sortir mais d’autres risquent de vite « abdiquer », de « tomber ». Ils manquent de chaleur, de médicaments, de sécurité, de vie privée. Ils ont parfois de la culture, de la curiosité, toujours de la dignité, comme Christine – la dame du Jardin des plantes –, qui demande au cameraman s’il a froid, ne rêve que de retrouver ses enfants et estime que le pire c’est « la non-réponse au problème qui nous maintient ici ».
La réponse n’est pas le sujet du film, humaniste et non politique. La police n’est qu’entrevue, les associations évoquées et d’ailleurs révérées : Médecins du monde, Emmaüs, les Restos du cœur. L’un des clochards estime que l’exclusion a des causes principalement économiques. Mais la violence saisissante du contraste entre la ville et ses passagers clandestins, entre une société et une autre, évoque Les Misérables et cette accusation de Hugo : la société bourgeoise produit une autre société qui est son envers, et dont elle est la seule responsable. Nous sommes aux plus élémentaires des droits de l’Homme.
Au bord du monde
Film documentaire, 2013
Durée : 98 mn
Réalisation : Claus Drexel
Production : Daisy Day Films
Distribution : Aramis Films
Site du film : www.auborddumonde.fr