Le Courtil est un lieu unique. Depuis 1983, du côté belge de la frontière, il accueille des enfants et des jeunes psychotiques avec lesquels vivent et travaillent des équipes d’intervenants. Ceux-ci utilisent les outils de la psychanalyse avec chaque enfant, non avec des grilles toutes faites mais de manière rigoureusement individualisée. La réalisatrice Mariana Otero, après avoir découvert le Courtil, s’y est immergée pendant des mois, se faisant accepter par les intervenants comme par les enfants, pour lesquels sa caméra est même devenue un outil de travail parmi les autres. Elle a filmé les réunions des équipes, les ateliers et la vie quotidienne des enfants de l’équipe Capi, qui ont entre 4 et 16 ans.
Ce n’est pas un film didactique. Le spectateur vit et partage le travail qui vise à rassembler ces enfants en miettes. Le signe de la psychose est l’absence de repères et de limites ; toute jouissance, par exemple de jeu ou de nourriture, débouche sur l’excès et la souffrance. Chacun, de manière singulière, a peur des autres parce qu’il ne sait pas qu’il est lui-même, que c’est son corps, que c’est lui qui parle. Pour apaiser, il faut un regard qui tienne le corps ensemble, qui le rassemble. Les intervenants sont de « petits autres » et pas des instances effrayantes. Alors peuvent revenir la conscience du corps et du moi, la possibilité de la parole, la construction du temps. Et ce travail se fait dans un grand respect des enfants : on n’entre pas sans frapper dans leurs chambres, le soir. C’est ainsi qu’on les aide, progressivement, à devenir des sujets.
Ce compte rendu bien abstrait omet des moments d’émotion, quand un enfant dit avoir « le sommeil cassé » et parle « à son tremblement », quand l’autre remplace les mots indicibles par un cri primal, quand une troisième gratte obstinément la terre pour y trouver des vers qu’elle pose dans sa main et regarde avec effroi. Le tout dans le beau décor d’une vieille ferme du Nord, non loin des canaux et des écluses, sous d’immenses ciels que les enfants regardent en se demandant, quand ils sont bleus, où sont partis les nuages.
On peut donc parler d’une véritable école aux droits de l’enfant, d’autant que ces enfants-là sont parmi les plus démunis.
Ce film se veut une véritable expérience pour le spectateur. Il lui offre en tout cas une belle méditation. Ce qui implique une durée, 1 heure 50, dont les organisateurs de projections et de débats devront tenir compte.
À ciel ouvert
Film documentaire, France, Belgique, 2013
Durée : 110 mn
Réalisation : Mariana Otero
Distribution : Happiness Distribution
Site du film : www.acielouvert-lefilm.com