Session annuelle de l’Assemblée des Etats parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI)

Lettre ouverte commune à adressée à Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, demandant un ferme engagement en faveur de la lutte contre l’impunité pour les crimes internationaux graves

Madame la Ministre,

Nous vous écrivons à l’approche de la session annuelle de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) pour demander instamment à votre gouvernement de traduire son ferme engagement en faveur de la lutte contre l’impunité pour les crimes internationaux graves, en veillant à ce que la CPI dispose, dans le cadre de son budget ordinaire, des ressources nécessaires à l’exécution de son mandat crucial dans toutes les situations.

La France a apporté à la CPI un soutien multiforme au cours des 20 dernières années, depuis l’entrée en vigueur du Statut de Rome. Elle a notamment défendu – avec d’autres États parties – la Cour et ses fonctionnaires lorsqu’ils ont fait l’objet d’attaques de la part de la précédente administration des Etats-Unis et, depuis plusieurs années, co-facilite les travaux de l’Assemblée relatifs à la coopération.

La France s’est également jointe à 42 autres États parties pour déférer la situation en Ukraine à la Cour et a fourni des contributions volontaires et détaché du personnel auprès du Bureau du Procureur, en réponse à l’appel lancé par ce dernier au début de l’année pour soutenir son action dans des domaines spécifiques.

Comme vous le savez, le mandat de la Cour est plus que jamais nécessaire. De l’Ukraine aux nombreuses autres situations relevant de sa compétence, la CPI a un rôle essentiel à jouer dans la réalisation du droit des victimes à accéder à la justice. Pour y parvenir efficacement, la CPI a besoin de ressources adéquates pour son budget ordinaire afin que tous ses fonctionnaires – qu’il s’agisse de mener des enquêtes, de statuer sur des affaires ou de veiller à ce que la justice puisse être rendue auprès des communautés affectées – puissent remplir leur rôle de manière efficace et cohérente dans toutes les situations relevant de la compétence de la Cour.

Malheureusement, les discussions au sein de l’Assemblée concernant l’établissement du budget annuel de la Cour ont trop souvent achoppé sur l’insistance de certains États parties, dont la France, à adopter une approche de croissance nominale zéro. Une situation qui a conduit à des négociations budgétaires visant à contenir toute augmentation du budget selon cette approche, plutôt qu’à un véritable dialogue visant à évaluer les besoins réels. Cela s’est traduit, certaines années, par des réductions ou des coupes effectives du budget de la Cour si l’on tient compte de l’inflation, alors même que sa charge de travail s’est accrue.

L’insuffisance des ressources de la Cour est devenue de plus en plus évidente. L’appel aux contributions volontaires lancé au début de l’année a de fait reconnu que le Bureau du Procureur a des besoins réels en ressources qui ne sont pas couverts par le budget ordinaire. Il en va de même pour l’ensemble des travaux de la Cour, y compris, par exemple, lorsqu’il s’agit de sa présence essentielle dans les communautés affectées par le biais de bureaux nationaux et d’activités de sensibilisation. 

La réponse de nombreux États parties, dont la France, à l’appel lancé par le procureur au début de l’année en faveur de contributions volontaires et de personnels détachés est une mesure positive de soutien à la justice. Cependant, comme vous le savez, l’utilisation de ces ressources est strictement réglementée par le cadre juridique de la Cour et n’est autorisée que dans des circonstances exceptionnelles.

Les contributions volontaires et le personnel détaché ne constituent pas un modèle de financement durable ; en revanche, le budget général soutient le travail de la Cour dans tous les organes et toutes les situations. Cela permet une certaine prévisibilité et protège au mieux l’indépendance des fonctionnaires du tribunal dans leur prise de décision. En outre, bien que les contributions ne soient pas affectées à une situation spécifique, la mise à disposition de fonds supplémentaires – après des années d’augmentations limitées du budget ordinaire de la Cour – si étroitement liée à la situation en Ukraine a donné lieu à des perceptions dommageables, selon lesquelles prévaudrait un deux poids deux mesures dans le soutien que les États parties de la CPI sont disposés à apporter à la justice.

Bien entendu, la Cour doit veiller à utiliser efficacement les ressources mises à sa disposition. Au cours des trois dernières années, des progrès significatifs ont été réalisés dans le cadre du processus d’examen par des experts indépendants afin de renforcer l’administration de la justice par la Cour. À l’heure où le rôle crucial de la CPI fait l’objet d’un regain d’attention en raison du conflit à grande échelle en Ukraine, et où ce processus d’examen a débouché sur un cadre commun permettant de discuter des changements nécessaires, nous appelons votre gouvernement à aborder les négociations budgétaires de cette année avec le souci d’évaluer l’investissement réel qui sera nécessaire pour que la Cour remplisse efficacement son mandat.

En effet, à ce stade particulier de l’existence de la CPI, les États soutenant la justice peuvent envoyer le signal le plus fort possible de leur appui à la Cour, à son mandat véritablement mondial et à l’accès des victimes à la justice en renforçant son budget général. Nous appelons votre gouvernement à s’assurer que son leadership en matière de soutien à la reddition de comptes au niveau international inclut la garantie que le budget ordinaire de la Cour pénale internationale est en adéquation avec le mandat qui lui a été confié par son traité fondateur.

Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de nos respectueuses salutations.

Bénédicte Jeannerod, Directrice France, Human Rights Watch

Clémence Bectarte, co-Présidente, Coalition française pour la Cour pénale internationale

Eléonore Morel, Directrice générale, Fédération internationale pour les droits humains   

Jean-Claude Samouiller, Président, Amnesty International France

Patrick Baudouin, Président, Ligue des droits de l’Homme

Envoyé par e-mail: Monsieur François Alabrune, Ambassadeur de France aux Pays-Bas et Monsieur Stéphane Louhaur, Conseiller juridique, Ambassade de France aux Pays-Bas 

Communiqués de la LDH

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