Sortie le 10 avril 2013
Lors d’un premier documentaire sur les difficultés à former un syndicat pour les ouvriers des plantations de palmiers à huile à Sumatra, Joshua Oppenheimer a découvert que ceux-ci vivaient aux côtés des hommes qui ont assassiné leurs proches, travailleurs du Parti communiste indonésien en 1965. Il a alors décidé de réaliser un documentaire sur ces massacres. Mais il n’imaginait pas que, 45 ans après les faits, les survivants terrorisés hésiteraient à s’exprimer et que les bourreaux, protégés par un pouvoir corrompu, s’exprimeraient aussi librement.
Ces bourreaux sont ceux qui, en 1965, ont obéi aux ordres du général Suharto qui, prenant la direction de l’armée, ordonna aux commandants locaux d’écraser le Parti communiste indonésien (PKI) accusé d’avoir soutenu la politique nationaliste et anti-impérialiste du président Sukarno et d’une tentative de coup d’Etat « déjouée » par ce même Suharto. En quelques mois, cinq cent mille à un million de membres ou sympathisants du PKI furent torturés et massacrés par des membres de l’armée, aidés par des miliciens civils et des gangsters. Ce sont ces gangsters, (encore qualifiés de « forces vives de la nation » par le chef de l’organisation paramilitaire, Pancasila Youth) à qui le réalisateur donne la parole, dans un exercice de cinéma vérité inédit, faute de pouvoir obtenir des témoignages des survivants ou des proches des victimes se sentant toujours menacés. Ces bourreaux ordinaires qui ont toujours rêvé de faire du cinéma (recrutés pour la plupart parmi les mafieux des cinémas, tout simplement parce qu’ils haïssaient les communistes, qui appelaient au boycott des films américains très en vogue à l’époque) rejouent de bon cœur devant la caméra les atrocités dont ils ont été les auteurs dans le passé, les scènes de meurtres basées sur leurs souvenirs, utilisant comme « figurants-victimes » des survivants. Comme si les actes qu’ils avaient commis n’avaient rien de répréhensible, ils n’expriment jamais l’ombre d’un remord, ignorent la souffrance de leurs victimes. L’Autre, la victime, « n’existe pas » et aucun d’eux n’imagine qu’il pourrait être jugé. Le film témoigne sans complaisance de la culture de violence dont l’armée et la police restent imprégnées et de l’impunité édifiante qui perdure en Indonésie.
Ce documentaire est profondément dérangeant, pourtant The act of killing nous oblige à voir une réalité, celle de ces criminels impunis. Tout comme le documentaire de Rithy Panh[1] faisant témoigner Duch, ancien directeur du centre de torture cambodgien S21 (définitivement condamné en 2012 à la réclusion à perpétuité pour crimes contre l’humanité), comme celui de Monika Borgman[2], montrant des miliciens libanais auteurs des massacres de Sabra et Chatila, The Act of Killing nous oblige à assumer que nous faisons partie de la même famille que ces bourreaux, la famille humaine. Il nous rappelle que les atrocités de l’histoire sont commises par des êtres banals soumis à l’obéissance aux ordres et à la conviction de la légitimité de leur « cause », éblouis par l’ivresse des armes et la folie de la violence.
A l’heure actuelle, le gouvernement indonésien refuse toujours de reconnaître que ces massacres sont une faute et un crime contre l’humanité, malgré le rapport accablant de la Commission indonésienne des droits de l’Homme (Komnas HAM), le procureur général a refusé de diligenter une enquête officielle.
The act of killing nous oblige à rester vigilants et à continuer à soutenir tous les combats contre l’impunité.
The Act of Killing
Documentaire, 2012, Danemark /Norvège/Angleterre
Durée : 1h55
Réalisation : Joshua Oppenheimer (USA)
Production : Final Cut for Real apS
Distribution (France) : ZED
Langue originale : indonésien