Écrits pour la parole , un livre de Léonora Miano

Ce livre a reçu le prix Seligmann contre le racisme en 2012. Comme l’indique son titre, il est destiné à être dit ou lu : la pièce Afreuropéennes, qui reprend certains des monologues d’Écrits pour la parole, a été créée en septembre 2012 aux Francophonies du Limousin.



Le livre se présente en deux parties, « In-tranquilles » et « Femme in a city », qui font entendre les voix de celles et ceux qu’on entend rarement, et qui parlent de l’histoire, de la société, en partant du plus profond de leur intimité.

Telle cette petite fille qui s’est toujours rêvée en enfant blanche et blonde, aux yeux clairs et à la voix cristalline, qui rêvait en fait juste d’être une personne, et à qui sa mère recommande de ne pas oublier sa couleur et de travailler mieux que les autres : la couleur est un enduit que les autres vous passent. Beauty, elle, rêvait de laisser sa couleur dans l’eau du bain. « Tu comprenais déjà que noir, ce n’était pas une catégorie biologique, naturelle, que c’était une mémoire, des représentations. » Assertion qui est le point de départ, et peut-être le cœur du propos de l’auteur.

L’expérience intime rejoint immédiatement l’histoire, avec une voix narquoise qui enjoint aux ennemis des migrants de se taire : « Si chacun doit seulement rester attaché là où il est né, comme une chèvre qui reste là où elle peut brouter, il ne fallait pas commencer à venir coloniser les gens. »

On écoute Sostène qui vit en France depuis 35 ans, qui a cinq enfants tous diplômés, qui paie son loyer et ses impôts et ne parvient pas à faire renouveler sa carte d’identité, et qui attend fièrement des excuses de cette administration du pays qu’il aime et auquel il a tout donné.

On écoute bien d’autres voix. Léonora Miano rêve de frontières qui assemblent, d’apaisement et de mélanges. Elle ne veut plus entendre de mots vides comme communauté, comme si les Noirs de France, aux origines si diverses, formaient une communauté ; elle ne veut plus de cette incessante question qui vient avant toutes les autres, sur son origine. Ne pas être constamment en butte au jugement, au soupçon, ne pas faire reculer les vieilles dames et les employeurs, ne pas se battre quotidiennement pour faire accepter son mariage mixte. Que ce ne soit pas « une bataille d’appartenir à ton lieu de naissance ». Ne pas être constamment seul et sur ses gardes mais pouvoir vivre sa vie en entier, avec panache. Ne pas avoir envie de crier parce qu’à force d’être décrit comme noir, on est dépossédé de son individu.

Être une femme noire, c’est être dans la rue objet de convoitise sexuelle et au bureau victime de harcèlement, plus encore que les autres femmes, et sans leur solidarité. C’est vivre avec un homme noir qui vous comparera sans cesse à sa mère et qui sera moins bien que vous, sinon c’est une blanche qu’il choisira. C’est être une pauvre vieille Antillaise droite et digne qui cherche, dans le froid de Paris, les endroits où c’est le moins cher pour emplir son cabas. Être une femme noire en France, c’est n’avoir pour modèle que des incarnations des stéréotypes de la femme noire, de la Vénus à Joséphine Baker dansant avec ses bananes, seul moyen d’arriver en haut de l’affiche ; c’est devoir rappeler à sa fille, qui ne peut pas s’identifier à une blanche, qu’il n’y a qu’une humanité.

Sa conclusion est sans appel. « La France ne sera pas une grande idée. Rien qu’une triste réalité tant qu’elle dira : Noire ou Française. […] Le mieux c’est la fusion : Française noire Le mieux c’est l’addition : Française et Noire… »

Or précisément c’est la fusion de ces voix dans la sienne qui fait littérature : pas seulement l’intelligence du propos, comme dans un essai, mais un véritable parlement – parler ensemble – de celles et ceux qui revendiquaient autrefois leur négritude.

Communiqués de la LDH

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