L’outre-mer, les outre-mers, l’égalité des droits

On est toujours l’outre-mer de quelqu’un. Vu du sud, c’est l’Hexagone qui est une terre exotique, voire étrangère ! Quoi qu’il en soit, reste la représentation d’un centre donneur d’ordres et d’un au-delà lointain et même marginal. Autrement dit, la métropole et ses extérieurs… qui posent les questions de comment penser, vivre et rendre mobilisatrice une dialectique diversité/universalité. Résumons en une phrase : pas de diversité des territoires sans universalité des droits. Pour ouvrir la réflexion, voici sept mots clés : minorités, esclavage, colonie, institutions, diversité, égalité, migrations. Et partant, la définition d’objectifs.



Les minorités ignorées de la République

Les Dom et les Com ont une dimension anthropologique quasiment sous-estimée, si ce n’est violemment ignorée. Traditionnellement, la conception du peuple français, censée diriger la Constitution, ne tient compte que de son unité. Mais cette Constitution est une construction politique et historique. Or, puisqu’il n’y a plus de domaine colonial, il n’y a plus de sujets ni d’indigènes. Il y a en France, aujourd’hui, des Kanak et des Polynésiens, des Amérindiens et des Bushinenge, des Mahorais… Et c’est à l’aune du traitement des minorités que l’on peut mesurer le fonctionnement de la République. Justement, parce que ce sont des composantes non prototypiques de la communauté nationale, elles bénéficient des mêmes droits. Le point d’entrée est là : école, santé, sûreté. Il ne s’agit bien sûr pas de gommer les spécificités, mais de parler d’adaptation, et surtout de voir en acte l’universalité.

L’impossible oubli de l’esclavage

Le développement économique des quatre territoires les plus anciens d’outre-mer était fondé sur l’exploitation esclavagiste. Ce mode de production fut la seule source de profit de sociétés qui ne vivaient que par lui. Aboli une première fois par la Révolution française, rétabli par Napoléon Premier le misérable, il ne fut définitivement supprimé qu’en 1848. Mais ces deux siècles d’esclavage en outre-mer ont été marqués par une effroyable surexploitation des hommes et des femmes, niés dans leur essence d’êtres humains, annihilés dans leur existence de personnes sensibles, abrutis par les châtiments corporels et les mutilations. Sans parler aujourd’hui de la réparation de ce crime souvent présentée comme une dette à honorer par l’ex-colonisateur. Les séquelles persistent dans la structuration sociale très inégalitaire et l’extrême pauvreté.

Le socle historique de la colonisation

Un double écueil, symétrique dans sa systématique : d’un côté affirmer que tout est encore colonial ; de l’autre croire que plus rien ne l’est. Le passage du Code noir au code de l’indigénat, de l’esclave au sujet, marque l’approfondissement et l’extension géographique vers un système, l’empire colonial, pour cent cinquante ans d’exploitation et d’échange inégal, matières premières contre main-d’œuvre bon marché, taillable et corvéable à merci. Aujourd’hui, le système colonial n’existe plus en tant que programme institutionnel. Mais il a engendré des rapports de domination et des situations de dépendance des territoires ex-coloniaux. De plus, la situation n’est pas la même dans les départements d’outre-mer, où s’exerce (ou devrait s’exercer) le plein exercice de la Constitution, et la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie, qui sont des espaces de souveraineté de la France (et des zones économiques exclusives très importantes). Le cas de Mayotte reste singulier, et sa transformation en département d’outre-mer ne règle aucun des problèmes issus de son incontestable appartenance à l’espace culturel et social comorien.

Les institutions comme enjeu

L’indépendance est bien l’avenir probable et souhaitable pour la Nouvelle-Calédonie. C’est d’ailleurs le sens de la décision de l’existence dans cet antipode non pas d’une section de la Ligue française, mais bel et bien d’une Ligue indépendante, comme d’ailleurs en Polynésie. D’autre part, l’assemblée générale de l’ONU condamne régulièrement la présence souveraine de la France à Mayotte, considérant que son rattachement à la République comorienne est une nécessité. En revanche, la situation institutionnelle dans les « quatre vieilles » ex-colonies ne tourne pas autour de l’inéluctabilité de l’indépendance. Mais cela ne signifie pas que la question des rapports entre la métropole et les Dom se résume à un classique jeu entre centre et périphérie. En est témoin le cours « chaotique et paradoxal » des évolutions institutionnelles. Que faire de la dualité, dans un même espace, d’une région et d’un département ? Quelle démocratie pour assurer la libre administration voulue par la décentralisation dans des espaces qui se brouillent ? Quels seraient les contours d’une autonomie déléguée, et sur quels sujets ?

La diversité, le choc du réel

C’est sur le terrain de la « diversité » que l’archipel des « outre-mers » apporte à la République ses expériences singulières. De la Martinique à la Guadeloupe, de La Réunion et Mayotte à la Guyane, et même en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, au-delà de la diversité institutionnelle, ces territoires ont souvent fait office de « laboratoires », pour le meilleur et pour le pire.

Les mémoires collectives s’y enracinent dans le terreau d’histoires de quelques siècles, mais douloureusement marquées par le système colonial, la traite et l’esclavage, ou encore l’engagisme indien au-delà de l’Abolition de 1848. Sur ce socle cependant, certaines de ces sociétés ultramarines ont connu durant les soixante dernières années une stupéfiante accélération. Il en résulte des métamorphoses étonnantes qui, malgré des inégalités criantes, des « retards » et des « handicaps structurels » reconnus, placent souvent ces sociétés en situation de progrès quand il s’agit d’inventer du savoir-vivre ensemble ! La situation reste cependant contradictoire et fragile, car des populations voient leur éloignement se transformer en marginalisation.

L’ardente obligation de l’égalité

En ce sens, certes comme partout, mais singulièrement dans ces régions de diversité, la revendication de l’égalité des droits est stratégique. On a coutume de dire que les Dom, c’est la France, mais la France, c’est loin. Si cela signifie qu’il peut y avoir des arrangements avec les lois de la République, c’est une fausse piste. En revanche, sur la base d’une analyse spécifique, il peut se développer une action publique en faveur des droits de tous les citoyens. Ce qui n’est pas – n’est plus… – acceptable, c’est le double trémolo qui consiste à arguer de la spécificité pour ne pas accorder les droits, et à refuser les actions spécifiques au prétexte de l’indivisibilité de la République. Car si les citoyens français sur le territoire français doivent avoir les mêmes droits, force est de reconnaître que ce n’est pas partout le cas. En outre-mer, il faut des politiques publiques, en matière d’éducation, de santé, de transports, d’administration, de sûreté, de développement des services publics. A égalité avec la métropole, et même plus grâce à des actions spécifiques de rattrapage des écarts.

Migrations, du fantasme au déni des droits

Dans les eaux bleues de nos régions ultramarines, du côté des instances politiques de l’Etat, court un fantasme de peur et d’inquiétude permanente : l’invasion migratoire. A coups de procédures dérogatoires, souvent précédées de pratiques illégales, les étrangers qui arrivent sur les rivages et aux frontières des Dom, particulièrement à La Réunion, aux Antilles et en Guyane, et enfin de façon spécifique à Mayotte, ne sont pas traités conformément à la loi. Depuis des années, la police des frontières, sur l’ordre des préfectures, organise un véritable refoulement avant que les procédures légales puissent être ouvertes. La police des étrangers dans les Dom, c’est l’organisation systématique, d’une part, du contrôle a priori pour les empêcher d’arriver au risque de provoquer leur mort, et, d’autre part, la chasse a posteriori pour les empêcher de rester.

L’égalité des droits

Il n’est pas exotique de mettre en avant la question de l’égalité des droits dans les outre-mers : la LDH est dans son plein rôle en disant que la diversité des situations ne peut s’assumer que sur la base de l’égalité des droits. Nous ne pouvons plus tolérer cette double réponse qui va de la condescendance à peine cachée aux arrangements lucratifs entre amis. En termes d’action et de vie politique, ce double syndrome se résume souvent au syntagme : « C’est la France, mais la France c’est loin ». Autrement dit, il s’agit de garder les deux fers au feu, soit pour insister sur l’unité, soit pour arguer de la diversité. Au bout du compte, ce sont les droits qui en pâtissent, puisque tout est impossible à changer.

Quand des lois d’exception perdurent…

Se préoccuper de la situation des droits de l’Homme en outre-mer n’est donc pas une affaire de circonstance. C’est constater que lorsque perdurent des lois d’exception une partie de la population (2,5 millions d’habitants) n’est considérée que comme un poids, pour ne pas dire un handicap, pour la République. Il faut en finir avec l’asymétrie qui caractérise la vision banale des Dom et des Com. Ce qui est bien relèverait du domaine du soleil, des tropiques, de la plage et de la nonchalance. Ce qui est mal serait du côté du coût des droits effectifs.
Ce qui fait l’unité de la France, c’est donc l’égalité des droits. Il ne peut y avoir de citoyenneté à droits réduits ou limités. Si là-bas, c’est la France, alors, c’est toute la France ! S’il convient d’insister sur ce refus de la variabilité, c’est que l’outre-mer fait l’objet de toutes les attentions et de nombreuses expérimentations en matière de recul des droits de l’Homme et de la citoyenneté.

Le poids des discriminations

Si l’on voulait résumer la réponse faite à la constatation de la diversité, on pourrait sans doute dire que les Dom et les Com sont le terrain du développement des discriminations et des droits d’exception. C’est en toute connaissance de cause que les associations, dont la LDH, ont déposé des recours auprès des instances compétentes qu’étaient la Halde ou la Défenseure des enfants avant leur disparition dans les services du Défenseur des droits. Et l’on voit bien que la situation sociale reste marquée par des structures à droits limités qui ont succédé à l’esclavage et/ou à l’exploitation coloniale. Des mouvements sociaux larges, populaires ont cherché, avec une ampleur, des fortunes et des suites diverses, à mettre en avant ce souci de dignité et d’égalité, tels le LKP en Guadeloupe ou le Cospar à La Réunion.

Un enjeu géostratégique

S’il s’agit de confettis d’empire en termes de surface de terre, en présence maritime, l’espace est vaste. Ainsi, le domaine exclusif de la France apparaît aux développeurs économiques comme une force. Il s’agit aussi de l’assurance d’une présence d’ordre. Dans la conception actuelle de la géostratégie, ces territoires apparaissent comme des bastions, et, à leurs alentours, se développent toutes les dérives de la peur obsidionale. C’est l’occasion de développer une politique de l’immigration sécuritaire et restrictive. Sans aucune référence aux contextes locaux, comme à Mayotte ou en Guyane, c’est une politique d’exception, au mépris conscient, voulu et assumé de la loi qui s’étend. En tout cas, les questions institutionnelles sont bel et bien posées.

Les droits des outre-mers sont les droits de tous

Passer de l’outre-mer « laboratoire du recul des droits des étrangers », haut lieu de la « lutte contre l’immigration clandestine » et des mesures d’exception ; de l’outre-mer sanctuaire du développement de l’illettrisme ; de l’outre-mer encore trop confronté à la justice d’héritage colonial ; de l’outre-mer exotique où les langues régionales sont sans avenir ; passer donc de l’outre-mer dépendant à des outre-mer que l’on considérerait comme des laboratoires de la diversité, de la biodiversité, des énergies renouvelables ; comme lieu d’expérimentation idéal pour la lutte contre l’illettrisme, pour l’innovation sociale en matière de politique de l’autonomie des personnes, pour le développement d’une économie endogène, pour le développement des alternatives à la peine de prison, ou encore pour la mise en œuvre des droits des immigrés. Voilà l’objectif.

Pour en savoir plus : le dossier d’Hommes Libertés « Du côté des Dom-Com »

http://www.ldh-france.org/Hommes-Libertes-no155,3769.html

Communiqués de la LDH

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